Étiquette : usine

« 1983 » d’Alice Carré et Margaux Eskenazi au Théâtre des Abbesses – transmettre pour avancer

Après Et le cœur fume encore en 2020, qui portait sur la guerre d’Algérie et ouvrait sur ses conséquences au long cours, la compagnie Nova reprend le fil de sa réflexion et dresse une fresque de la France de 1979 à 1985, dont le point d’orgue est l’année 1983, année d’une Marche pour l’égalité et contre le racisme qui mène de Marseille à Paris. Depuis deux ans, le travail de la compagnie a profondément mûri. La part documentaire toujours importante de son travail, qui nourrit densément la réflexion, est cette fois assortie d’une plus grande conscience des moyens théâtraux qui permettent de la mettre en valeur. Alice Carré et Margaux Eskenazi proposent ainsi un objet composite, qui sollicite la réflexion, fait frissonner d’effroi ou d’émotion, et fait encore rire. Plus profondément, 1983 se charge de transmettre pour ne pas qu’on reparte de zéro, que les combats qu’il est nécessaire de mener aujourd’hui s’inscrivent dans une histoire capable de leur donner poids et ampleur.
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« Huit heures ne font pas un jour » de Julie Deliquet au TGP – utopie politique, utopie théâtrale

Le dernier spectacle de Julie Deliquet, Huit heures ne font pas un jour, avec lequel elle a inauguré son mandat à Saint-Denis, est repris un an après sa création. Après avoir adapté un scénario d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, avec la troupe de la Comédie-Française, après avoir adapté un scénario d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, avec son collectif In Vitro, la metteuse en scène s’est cette fois attaqué à un scénario de Fassbinder, auteur de théâtre allemand régulièrement monté, dont les œuvres cinématographiques et télévisuelles ont également inspiré le théâtre – notamment Thomas Ostermeier, qui a adapté Le Mariage de Maria Braun à la scène. Le défi que s’est proposé Julie Deliquet avec ce projet est plus grand encore par rapport à ses précédents spectacles : ce n’est pas un scénario de film, mais celui d’une série, dont cinq épisodes d’une durée moyenne d’une heure et demie ont été réalisés par Fassbinder. L’entreprise de réduction exigée est conséquente, même pour un spectacle qui dure 3h30. Non seulement Julie Deliquet y parvient avec intelligence, mais ce scénario lui offre en plus un matériau qui donne de l’ampleur à son geste artistique.
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« À la ligne » d’après Joseph Ponthus au Théâtre du Train bleu – poétique du travail en usine

Le Théâtre du Train bleu programme cette année un spectacle produit par le Théâtre de Lorient, dirigé par Rodolphe Dana, à la tête du collectif Les Possédés depuis devenu le Collectif Artistique du Théâtre de Lorient. Après avoir monté des textes de Lagarce ou de Tchekhov, le collectif a pris un plaisir particulier à adapter des romans : Bullet Park de John Cheever, À la recherche du temps perdu de Proust à deux reprises ou Madame Bovary de Flaubert. Le spectacle de Katja Hunsinger et Julien Chavrial, À la ligne, s’inscrit dans ce sillage. Il est une adaptation d’un roman de Joseph Ponthus publié en 2019 et plusieurs fois primé. Avec ce récit d’usine, les acteurs redisent leur foi profonde en la littérature, en sa capacité à dire le monde et à le faire voir quand elle est amenée au théâtre.
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« La Condition ouvrière » de Simone Weil [extrait] – anéantissement de l’homme par la machine

Professeure agrégée de philosophie, Simone Weil s’engage en décembre 1934 comme manœuvre dans une usine. Pendant 9 mois, elle partage le quotidien des ouvriers et ouvrières pour comprendre la condition réelle qui est la leur – condition servile, conclut-elle. L’expérience n’est pas purement intellectuelle : Simone Weil a à cœur d’améliorer cette condition, non en diminuant le temps de travail et en offrant à la classe ouvrière davantage de loisirs, mais en envisageant le travail comme une éducation assurant l’épanouissement. Outre ses témoignages, ses échanges nombreux avec des patrons d’usine et ses réflexions sur les syndicats ouvriers après les grèves de juin 1936 le confirment : Simone Weil ne dénonce pas les souffrances et humiliations des ouvriers dans la perspective révolutionnaire et utopique d’abolir le travail en usine ; l’émancipation à laquelle elle aspire reste en prise avec les impératifs économiques du pays, alors que la menace de la guerre pèse : elle doit se faire par le travail.
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