RABAN. – Nous aurions pu…
MADAME TSCHISSIK. – Rien. Non.
On peut ou on ne peut pas. Pas nous aurions pu.
Pourquoi une femme comme moi a-t-elle pu unir sa vie avec un homme tel que lui, tout le monde depuis de nombreuses années se demande cela et se moque de lui et me plaint et encore, me soupçonne de mensonges, de fausseté et le juge ridicule.
La prétention médiocre des jolies personnes…
Les garçons comme vous, à vouloir me promettre tant de choses si je promettais avant eux, les garçons comme vous, quelques petits épargnants de l’amour, ne sachant trop s’ils doivent tout miser ou se réserver pour des épouses comme votre Joséphine, les garçons comme vous, sans force, vous n’imaginez pas combien j’en ai vus, combien j’en ai entendus, combien tard dans la nuit sont venus me faire leurs adieux émus, espérant lâchement que je leur céderais encore à cet instant ultime.
Vous n’imaginez pas.
Lui, là, mon mari, l’homme avec qui je décidai de partager la vie,
et elle fut difficile et elle le sera plus encore, de plus en plus, je ne l’ignore pas,
lui, là, mon mari, il est venu vers moi, un jour, un peu ridicule, un peu emprunté comme il le fut toujours, comme il l’a toujours été,
un peu vulgaire aussi, pourquoi non ?
lui,
il est venu vers moi et il m’a demandé vraiment.
Vraiment, je ne saurais pas mieux dire.
Il m’a dit qu’il m’aimait.
Vous pouvez chercher dans votre mémoire, vous avez oublié de me dire ça, vous l’avez gardée pour l’estocade finale, en réserve, l’arme définitive.
Vous ne me l’avez pas encore dit.
Lui, il a dit ça en commençant, il s’est laissé aller vers le ridicule le plus grand, il s’est planté devant moi tel qu’il est et il a dit qu’il m’aimait. Il avait peur, je crois bien.
Il m’a dit qu’il m’aimerait vraiment, si je ne l’aimais pas, et qu’il m’aimerait encore, vraiment, loin de moi, si je devais le rejeter et si plus jamais nous ne nous rencontrions.
Il était là devant moi, il était comme il a toujours été, il ne trichait pas, il n’attendait rien,
il disait juste,
il avait dit et il me laissait répondre.
Il n’exigeait rien de moi, il ne me reprochait rien par avance, il ne promettait pas qu’il serait malheureux si je le refusais.
Et j’ai pensé, je ne l’avais jamais pensé auparavant, j’ai pensé que cet homme-là, un peu ridicule, un peu perdu, avec sa peur, que cet homme-là m’aimait peut-être comme personne jamais encore ne m’avait aimée.
Vraiment, sans négociation, sans ce petit chantage mélancolique que prennent toujours les hommes pour se garantir de l’avenir.
Il attendait, il n’exigeait rien. Il était émouvant comme aucun de ces petits garçons depuis ne l’a jamais été et n’a réussi à me détourner de lui. Il disait avec tout le courage du monde son amour pour moi et sa vérité.



