Sur la petite scène des Déchargeurs, Catherine Decastel propose une mise en scène de la puissante pièce de Lagarce J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Entre les pantomimes d’une extrême densité et les dialogues intenses, l’émotion prend le pas sur la beauté du texte.
Cinq femmes ont passé leur vie à attendre le retour du « jeune frère », jeté quelques années plus tôt hors de chez eux par le père, mort depuis. Ce retour, tant espéré, tant fantasmé, qui a été le seul objet de leur désir toutes ces années, ne se révèle pas du tout à la hauteur de leurs rêves. Le jeune frère s’est écroulé sur le sol en arrivant, et il repose à demi-mort dans son lit d’enfant.
Cette attente du retour fait place à une autre attente : celle du réveil. A l’écoute de ses moindres mouvements, elles tournent autour de lui comme des abeilles. Ce retour a un effet de catalyse. Les fantasmes qui l’entourent sont dévoilés, ceux sur le départ sont confrontés, ce qu’il reste à présent c’est la colère. Colère d’avoir eu à l’attendre si longtemps pour le voir mourir, colère de n’avoir eu aucun signe de sa part, alors qu’il savait leur tristesse.
Déception également de n’avoir pas un retour digne du drame de leur vie. La fin de l’histoire n’est même pas belle et elle ne protégera pas ces femmes des railleries des gens du village. Il faut passer par toute cette palette d’émotion pour atteindre petit à petit la délivrance. Elles se déchargent progressivement de ce poids dans leur vie. L’avenir s’ouvre et la complicité renaît entre les cinq femmes.
Les masques de l’attente et du deuil s’estompent peu à peu. Les visages blancs des comédiennes perdent de leur matité dans leurs contacts à la fois tendres et violents. Il faut un geste déterminé et rituel, celui de se laver le visage à l’eau, pour qu’il ne reste plus que des traces de ces cendres de vie.
Les scènes sont rythmées par des pantomimes qui condensent tous ces éléments. L’arrivée du jeune frère interrompt leurs gestes de robot et met fin à leur isolement. Il rend aux automates qu’elles sont devenues à force d’attendre une humanité à réapprivoiser. Désormais, elles seront toutes tournées autour du lit blanc qui trône, avant de pouvoir lui tourner le dos.
Ces épisodes sans paroles redoublent le texte de Lagarce. Elles disent avec leurs moyens, le corps, la lumière et la musique, la difficulté de ces femmes à trouver leur place autour de cet être fantasmé. La mère est concurrencée par l’aînée, les deux du milieu se retrouvent sur le terrain des hommes, et la petite dernière, plus jeune que son frère, souffre d’avoir été délaissée.
Avec un tel matériau d’origine, l’émotion est certainement là. On regrette simplement de n’avoir pas mieux entendu la langue de Lagarce, qu’elle n’ait pas été davantage explorée comme telle plutôt que comme support de jeu.
F. pour Inferno
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