Le lac se change en un souk où mille conversations sourdes reproduisent le même message secret, une fois, puis une autre, comme il se produit dans l’eau depuis la première fois où un atome d’hydrogène a convaincu son camarade d’accepter de partager leur vie avec l’oxygène solitaire, créant ainsi le trio premier à l’origine de la vie. Quand ceci arrive, la bouteille de Destop, qui flotte sur une des rives les moins accessibles, semble comprendre son statut de paria. Se heurtant brutalement contre la roche, elle semble assumer que son allure révèle à grandes bruits qu’elle n’appartient pas à ce monde, qu’elle constitue d’ailleurs une honteuse interruption de ce monde. Quand la bouteille de Destop, accompagnée de l’applicateur de tampon et de l’emballage de viennoiserie, flotte désagréablement dans le recoin le moins remarquable du lac, se résignant au va-et-vient incessant qui lui donne l’air d’une prostituée lasse, on se réjouit que la nature sache créer ses propres ghettos.
***
Loin d’ici, à cet instant, flotte au-dessus de nos têtes, tout autour de l’orbite terrestre, une immense couche de plusieurs tonnes de ferraille spatiale. Ce sont des déchets de tous genres, des restes de fusée, de vieux satellites, des débris d’explosions et de composants, et même des millions de petites particules de peinture. Les collisions entre ces objets engendrent de la ferraille nouvelle. Si une collision importante avait lieu, entre une station spatiale et un satellite par exemple, la quantité d’ordures générée par la chaîne de collisions successives pourrait être assez grande pour rendre inutilisable l’orbite basse de la Terre. Le plus beau et le plus privilégié des snorkel serait celui de l’astronaute capable d’observer cet effet domino depuis l’orbite lunaire, flottant dans le vide totalement détaché de l’horreur, de ses yeux blindés d’esthète derrière son scaphandre. Puis… appuyé sur un orme inexistant sur la rive imaginaire de la mer de la Tranquillité, de savourer la lecture, par exemple, de L’Origine des espèces.