Au cœur de la Touraine, à quelques kilomètres d’Azay-le-Rideau et de Villandry, entre Tours et Chinon où se trouve la demeure de Rabelais, la Devinière, se tient le Château de Saché. Par rapport aux autres châteaux de la région, le bâtiment ressemble plutôt à une grande maison, sans tours ni rois de passage pour l’ennoblir. La gloire de ce logis de la Renaissance agrandi au fil des époques est autre. Elle tient à l’un de ses hôtes, Honoré de Balzac, reçu par le propriétaire des lieux en XIXe siècle, Jean Margonne. Pendant près de 25 ans, l’auteur revient en effet régulièrement dans sa région natale et trouve à Saché le calme nécessaire pour écrire. Devenu Musée Balzac, le château invite les plus rêveurs à pénétrer la vie de l’auteur.
Le calme nécessaire pour écrire… Pourtant, dès les premières pièces, Paris ne semble pas lointain. Dans le vestibule, une galerie de portraits rend hommage au pouvoir en place à l’époque. Plus encore, salle à manger et grand salon reprennent les codes esthétiques en vigueur à la capitale, avec une décoration sophistiquée, digne des hôtels parisiens les plus courus. Papiers peints en trompe-l’œil et mobilier raffiné donnent un caractère solennel à ces pièces de réception et font oublier un instant la campagne qui entoure le château, son isolement relatif qui aurait pu appeler un certain dépouillement. C’est là que Margonne et Balzac recevaient leurs invités à l’occasion de lectures, ou pour des divertissements eux aussi mondains tels que le whist ou le tric-trac.
Après ces pièces à vivre qui révèlent un Balzac social, l’étage dévoile l’auteur. Dès le nom des salles, le visiteur est invité à s’imprégner de son œuvre monumentale : « Salle du lys », « Salle Louis Lambert », « Salle Béatrix ». Plusieurs documents sont proposés à la curiosité des visiteurs : portraits de famille ou de proches – ainsi ceux de la fameuse Madame Hanska, « l’étrangère » devenue confidente et amante lointaine de Balzac –, premières éditions, coupures de presse et caricatures. Est rappelée à cette occasion l’architecture de la Comédie humaine, et son principe de retour des personnages qui a profondément modifié la perception des romans qui composent l’ensemble, mais plus encore l’importance particulière qu’a exercé la région sur l’auteur. Les paysages de Touraine sont décryptés par le prisme des romans – ou l’inverse – et une grande carte permet de situer dans l’espace les différentes intrigues du Curé de Tours, de la Femme de trente ans ou des Contes drolatiques. L’œuvre la plus marquée par ce cadre est Le Lys dans la vallée, dont l’histoire se déroule dans la vallée de l’Indre, et plus particulièrement dans deux châteaux voisins de celui de Saché.
D’autres romans sont associés aux lieux, tels que Le Père Goriot, Louis Lambert, César Birotteau ou Les Illusions perdues. Si Paris sert de décor à la plupart, ces œuvres ont néanmoins été écrites ici. La chambre de Balzac, reconstituée pour le plus grand bonheur des fétichistes, donne ainsi à voir l’espace restreint dans lequel l’homme dort et travaille. La faible distance qui sépare son lit de son bureau lui permet d’écrire dès son lever à l’aube, et ce pendant une bonne partie de la journée grâce au café qu’il ingère à grandes doses. Une dernière pièce à l’étage révèle encore l’homme à son bureau, par le biais de ses manuscrits cette fois. L’ampleur des annotations qui les recouvrent et qui amplifient encore les épreuves de ses œuvres montrent que Balzac écrit autant qu’il réécrit, ce qui rend encore plus considérable la somme que constitue son œuvre.
L’intimité de l’auteur ne pouvant être percée plus avant, les salles du rez-de-chaussée proposent des élargissements artistiques. La première révèle le travail de pénétration de Rodin, qui a voulu saisir au mieux l’auteur – comme en témoignent les nombreuses études préparatoires de son buste –, tandis que d’autres œuvres d’autres artistes plus ou moins récents rendent compte d’un désir partagé de saisir les traits de l’écrivain, et de communiquer à travers eux l’ampleur de son œuvre et de son génie. Mais en dernière instance, la salle de l’imprimerie qui révèle les préoccupations concrètes de Balzac, imprimeur pendant quelques années, montre que ce génie est ancré dans le réel, rattrapé par lui à cause de ses dettes mais aussi tourné vers lui en tant qu’observateur, comme artiste du réel – et pas seulement penseur éloigné de l’objet qu’il prétend saisir.
Il y a finalement plusieurs manières de visiter le Château de Saché. Alors que la plupart y verront une belle bâtisse riche de documents pas toujours très parlants sur l’auteur et son œuvre, les plus balzacophiles auront assez d’imagination pour donner vie au lieu et le rendre indissociable de l’auteur et de certaines de ses œuvres – cette même imagination capable de donner vie aux personnages de roman, de recréer autour d’eux tout l’univers esquissé par l’auteur, aussi détaillé soit-il dans le cas de Balzac. Les seconds se montreront passionnés par rapport aux premiers, simplement curieux, intéressés – et peut-être que finalement les deux points de vue pourront constituer deux moments de la sensibilité d’un lecteur, à différentes périodes de sa vie –, mais tous sont unis par le désir qui les a animés de trouver dans la réalité une continuité, voire une réplique à la fiction, ou du moins un cadre à la rêverie qui entoure la vie de tout auteur.
F.