Blandine Savetier et Thierry Roisin proposent aux Amandiers de Nanterre une plongée dans l’œuvre poétique d’Henri Michaux. S’inspirant d’une longue liste de recueils, c’est de son imaginaire tout entier plus que de son écriture qu’ils prétendent rendre compte sur scène. Pour ce faire, tous les moyens du théâtre sont comme essayés les uns après les autres, ce qui rend la performance scénique très inégale.
Les deux metteurs en scène semblent hésiter entre la déclamation de texte, la production d’images oniriques et l’expérience sonore et lumineuse. Il arrive que tous ces éléments soient convoqués en même temps, mais la plupart du temps, ces différents modes d’exploration de la poésie de Michaux sont accolés, et inévitablement mis en concurrence.
Après le passage d’un petit train électrique qui traverse le plateau vide, une quinzaine de corps surgit des dessous de la scène, et passe à travers une sorte de penderie. Ce flux se répand dans l’imposante scénographie de la grande salle des Amandiers, structurée par une mezzanine sous laquelle se dessine un espace tout en noir et banc, cerné d’ouvertures de différentes formes et tailles. Les musiciens de l’ensemble Muzzix s’entassent au niveau supérieur, tandis que les comédiens investissent l’espace, telles des poupées mécaniques, répétant inlassablement les mêmes gestes.
Cette chorégraphie aux accents comiques fait soudainement place à la parole. Ceux qui n’étaient que des corps deviennent malgré eux personnages, en charge d’un texte. L’un après l’autre, ils s’avancent, et déplorent une fin du monde. Quand l’un d’entre eux se met à jouer avec la langue, avec ses sonorités, au détriment du sens, on croirait assister à du Novarina, la prestance en moins.
Plusieurs morceaux autonomes s’enchaînent ainsi, indépendants les uns des autres. Parlé plutôt que déclamé, le texte ne réussit pas à se fait pas entendre. A défaut de lenteur, de répétition, de réarticulation pour délier de la densité, le texte est dit comme s’il pouvait se révéler dans toute sa profondeur au cours d’une lecture en diagonale.
Les images qui se substituent aux mots évoquent bien mieux l’univers poétique de Michaux. Surréalistes, à la frontière du rêve et du cauchemar, elles mettent le corps en jeu. On voit ainsi des corps sans têtes, des têtes sans corps, des superpositions verticales de deux corps, des bras greffés qui serpentent, des perruques de cheveux démesurément grosses.
Ces images sont sculptées par une demi-obscurité particulièrement soignée. Des carrés ou des ronds de lumière se déplacent, autonomes et vivants, non pas attachés aux comédiens mais les attirant avec jouissance. La musique quant à elle, produit des sons, des univers sonore, qui se font le plus entendre quand le silence revient.
La perception est placée au centre de cette performance dénuée de tout drame. A plusieurs reprises, l’ouïe et la vue sont mises en jeu par un volume sonore aux limites du supportable et des éclairs de lumières qui transpercent les pupilles. Cette importance accordée aux éléments autres que la parole n’est malheureusement pas pleinement assumée, et le texte refait régulièrement surface, et avec lui, sa faible mise en valeur.
Théâtre de texte et théâtre d’images s’accordent mal sur cette scène, s’affaiblissent l’un l’autre. Le spectacle suscite moins le désir de lire Michaux que de découvrir ses peintures, pour retrouver la trace des belles visions qui ont été créées sur le plateau.
F. pour Inferno
Pour en savoir plus sur « La Vie dans les plis », rendez-vous sur le site du Théâtre Nanterre-Amandiers.