« Je disparais » d’Arne Lygre à la Colline

Le Grand Théâtre de la Colline est investi par le metteur en scène et scénographe Stéphane Braunschweig, qui donne vie à l’univers si particulier de l’écrivain norvégien Arne Lygre. Cette fable, dont les personnages sont « Moi », « Mon amie », « La fille de mon amie », « Mon mari » et « Une étrangère », aborde tout en allusions les thèmes de l’attente, de l’émigration et de la solitude.

Une femme seule avec sa valise, assise dans son fauteuil, dans la maison qu’elle a toujours habitée, ouvre la séance. À son récit se mêle sa propre voix, à la troisième personne, qui la raconte en superposant les moyens de se dire. Sa situation en tant que telle nous est peu renseignée ; on apprend simplement que vont venir une amie, la fille de cette amie et son mari.

Pour tromper l’attente et l’angoisse qui en résulte, elle pense à la simultanéité et à la compassion. Elle imagine des situations dramatiques, plus désastreuses que la sienne, pour se rassurer, se dire « Je vais bien ». Ses récits imaginaires se confondent avec sa propre histoire, qui est davantage révélée par la fiction qu’elle crée que par ce qu’elle en dit vraiment.

Dans les tableaux suivants, distingués par un passage au noir et une mention temporelle – « le moment suivant » ou « l’heure suivante » –, arrivent successivement l’amie et la fille de l’amie. Toutes les trois, elles imaginent des scénarios-catastrophes à plusieurs voix, pour patienter jusqu’à l’arrivée du mari. Leur souffrance s’exprime dans leurs délires, dans la cruauté farcesque des histoires qu’elles inventent pour s’occuper l’esprit.

Après ce temps mort, vient celui du départ, résigné. On entrevoit dans le discours la mer, des bateaux qui n’arrivent pas, une autre rive. Nouveau tableau : elles ne sont plus que deux, la fille de l’amie n’est plus là. Cette fois-ci, leur fantaisie prend forme et couleur sur scène. Par la suite, les touches d’humour s’estompent et font place à un nouveau couple, dont la figure majeure est le mari qu’on n’attendait plus.

Ce qui pallie à l’enchaînement répétitif de tableaux est le dévoilement d’une scénographie sans cesse renouvelée et réjouissante. La perspective, renforcée par un sol incliné, enferme les personnages dans leur malaise et leur permet de s’allonger au sol sans se dérober au regard du spectateur. Les parois s’ouvrent et laissent apparaître une profondeur fascinante et multiple, qui dédouble l’espace dans les trois dimensions et le transforme en paysage mental.

Cette ingéniosité suffirait presque à contenter à elle seule le regard. Néanmoins, la dernière partie du spectacle, dans laquelle les héroïnes devenues familières ont disparu, laisse franchement perplexe. Le parcours que l’on suivait jusque là, tant du point de vue de l’histoire que de ses moyens narratifs, est interrompu et laisse place à un dialogue amoureux insipide. Cette note finale laisse dépité, malgré le ravissement des moyens scéniques et la force des mots qui nous ont d’abord entraînés.

F.

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