Porter Balzac à la scène est pour le moins original. S’il est un qualificatif qu’on lui attribue, voire même auquel on substitue son titre d’écrivain, c’est bien celui de romancier. Proposer Eugénie Grandet est donc un défi dont la complexité est redoublée par l’ambition d’une seule et unique comédienne sur les planches : Véronique Daniel.
L’artiste n’a pour seule compagnie qu’un décor drapé que l’on découvre au fur et à mesure : une petite console, un tabouret, une table de nuit, une chaise, et, sur le chevalet, le portrait imposant de Félix Grandet, le père de l’héroïne éponyme, l’autre héros du roman. C’est la seule figure qui pourra, avec la comédienne, donner corps à un des nombreux personnages du roman.
La pièce commence avec l’incipit de l’oeuvre en voix off. D’emblée la question est posée : s’agira-t-il d’une adaptation ? La réponse est rapidement apportée. Ce que l’on nous donne à voir et à entendre, c’est du Balzac en avance (très) rapide. Le texte, fidèle à l’incise près, est fait de paragraphes sectionnés et de dialogues isolés pour ne garder que ce qui peut apparaître comme la charpente du roman.
L’ « essentiel » est donc débité à une allure folle par V. Daniel qui tente d’incarner tour à tour, dans une danse effrénée, le narrateur, Grandet, sa femme, sa fille, Charles Grandet (le fameux cousin), Nanon, les Cruchot, les Grassins, le curé, etc. Une attitude, un geste, une intonation ne suffisent malheureusement pas à les caractériser et les identifier si on ne maîtrise pas le roman.
La finesse aura été trouvée dans le recouvrement progressif du mobilier à la fin, illustrant la « vie immobile » de l’héroïne que même une histoire passionnée avec son cousin ou la mort de ses deux parents ne divertira pas de son destin de jeune fille fortunée et convoitée en vain.
L’extrême solitude de la comédienne, malgré les lettres restituées du roman, les effets de lumière et les effets sonores un peu bruts, la conduit à porter régulièrement ses regards vers le public, la faisant d’avantage prendre l’allure d’une conteuse. Si l’entreprise est louable, l’ensemble prend la forme d’une course contre la montre qui ne rend pas forcément hommage à l’écriture délectable du grand Balzac.
F. pour Le Bruit du Off