« Enfants du Siècle » de Musset au Théâtre 71

Benoît Lambert a fait le pari audacieux de mettre en scène une pièce qui n’a jamais été écrite. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est une réussite. Dans un diptyque qui confronte Fantasio au célèbre On ne badine pas avec l’amour, il met en valeur ce qui aurait pu être Enfants du siècle, pièce que Musset n’aura jamais entreprise malgré ses promesses à Arsène Houssaye.

Il ne s’agit pas ici de mêler deux textes pour en faire naître un nouveau, ou de les tronquer et leur faire dire ce que l’on veut. Chacune des deux pièces est jouée dans son intégralité, l’une après l’autre. Ce sont les comédiens, les costumes, les accessoires qui créent un pont entre les deux, et renforcent leurs points communs idéologiques.

Ce qui éclot de ce face-à-face c’est ce que Musset a largement développé dans La Confession d’un enfant du siècle, c’est-à-dire ce malaise d’entre deux époques qui s’empare de sa génération. Lambert résume cet état par la question intemporelle « est-il possible de choisir sa vie ? ». C’est ce qui est exploré ici, entre travestissements et tirades délibératives.

« Enfants du siècle, une pièce fantôme ». D’emblée, le spectacle est placé sous le signe de la magie, du surnaturel. Dès les premières minutes de Fantasio, l’esprit de Shakespeare plane alors que l’on voit en arrière plan un homme à tête d’âne et une princesse qui le suit, semblable en cela à la Titania du Songe d’une nuit d’été. La magie et la farce seront de la partie autour des intrigues romanesques de la pièce.

Comment ne pas frémir durant le long dialogue du début de cette même pièce, alors que surgissent Fantasio et Spark dans des costumes et des attitudes plus proches de Beckett que du poète romantique ? Comment ne pas être à nouveau surpris quand c’est au tour des gardes de faire leur entrée et d’avoir cette fois affaire à des accoutrements de militaires étrangers ?

La diversité se poursuivant, on ne peut que conclure à un désir d’universalisation de la pièce, en ne l’ancrant dans aucune époque ni aucun lieu. L’espace scénique séparé en deux dans la longueur ne comporte pas d’autre décor que des tables à bancs  alignées, herbues dans le second volet. Cela conduit à des mouvements très latéraux, déviés quelquefois heureusement.

La séparation centrale est tantôt un mur, tantôt un buisson qui laisse entendre ce qu’il se dit, et parfois un rideau à franchir tout simplement. Cette neutralité était nécessaire pour permettre aussi bien des positionnements et que des transgressions. Les effets de lumière jouent avec ces tentures et réussissent à créer la diversité d’espace mobilisés.

Il fallait oser tenir les spectateurs pendant trois heures plutôt que de diviser le spectacle en deux temps. Mais l’intention étant de mettre en regard, d’imposer cette confrontation, il n’y avait pas d’autre choix que d’en faire supporter l’intensité et la longueur. Pour le spectateur c’est avec complaisance qu’il revient à sa place après l’entracte, dans un univers qui lui est désormais familier.

Pourtant, la tonalité d’On ne badine pas avec l’amour est bien différente. L’influence shakespearienne saute aux yeux dans cette constante ambivalence entre tragique et bouffonnerie. Les deux tendances se complètent et font la synthèse de ce thème amoureux qui a torturé Musset, en témoignent ses autres pièces, notamment Camille et Perdican et Perdican, écrites la même année.

Si les comédiens ne sont pas tous au même niveau d’excellence, leur prouesse et l’ingéniosité de la mise en scène font passer ces trois heures sans difficulté. Les partages d’opinion sur la « préférence » entre les deux pièces témoignent que leur mixture n’est pas forcément évidente, mais l’impression générale reste largement positive et la démarche d’origine, intégrée.

F.

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