Étiquette : Chloé Dabert

« Rapt » de Chloé Dabert à la Comédie de Reims – au piège de l’art théâtral, et de notre crédulité

Il y a – mais c’est heureusement rare – des spectacles qui placent la critique dans une position impossible. Soit elle doit prendre le parti de ne rien dire, de contourner le sujet principal et de se contenter de louer la précision de la mise en scène, la finesse de la direction d’acteur en citant les artistes, la sophistication et la fluidité de la scénographie, et sa pertinence aussi – mais sans pouvoir expliquer pourquoi... exercice consisterait alors à distribuer des éloges sans les fonder et ne servirait qu’à féliciter l’équipe de création – ce qui n’est pas rien, mais ce qui ne met pas en réflexion et ne permet pas de conserver la trace du spectacle. Soit elle doit se résoudre à spoiler, à divulgâcher l’essentiel, au risque de compromettre le plaisir du spectateur, voire, avec un peu de prétention, la vie du spectacle et ses possibles tournées. Le dilemme reste irrésolu tout au long de la représentation de Rapt, dernière création de Chloé Dabert à la Comédie de Reims. Jusqu’à la fin, ce questionnement place dans une position de vulnérabilité et de crédulité qui rend la démonstration plus magistrale encore. Après beaucoup d’hésitation, cette critique prend le parti de révéler l’effet de surprise, non seulement car elle n’a pas la prétention d’être assez lue pour compromettre quoi que ce soit, mais surtout car il n’est pas envisageable de passer sous silence une expérience aussi profondément troublante.
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« Le Firmament » de Lucy Kirkwood mis en scène par Chloé Dabert au TGP – femmes célestes sous la voûte du patriarcat

Après le CentQuatre et la Comédie de Reims qu’elle dirige, c’est au TGP que Chloé Dabert présente Le Firmament. Ce spectacle est la création française du texte de Lucy Kirkwood, autrice britannique dont une autre pièce, Les Enfants, est actuellement présentée au Théâtre de l’Atelier dans une mise en scène d’Éric Vignier. Lucy Kirkwood a plusieurs fois pratiqué le dialogue avec des œuvres existantes, en réécrivant des contes, en proposant une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou en reprenant, ici, les grandes lignes du scénario de Douze hommes en colère, pièce de Reginald Rose adaptée au cinéma par Sidney Lumet. Sur chacune de ces œuvres dont elle s’empare, l'autrice appose une perspective féministe. Peu après avoir travaillé avec des femmes victimes du système judiciaire pour une autre pièce, elle imagine dans Le Firmament une fiction qui se déroule dans l’Angleterre de 1756. Elle pratique cependant le télescopage des époques et l’anachronisme volontaire pour penser la place des femmes dans la société, les libertés acquises ou non depuis le XVIIIe siècle, et la survivance effrayante de problématiques liées à leur corps. Une grande intensité dramaturgique et scénique se dégage de la mise en scène de ce texte par Chloé Dabert.
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« Iphigénie » de Chloé Dabert au T2G – les vers de Racine, tout simplement

Le spectacle de Chloé Dabert, Iphigénie, présenté à Avignon l’été passé, est repris en ce début d’année au T2G et au 104. La simplicité de l’énoncé intrigue : est promise une mise en scène d’une tragédie classique, pas même « d’après » Racine, mais bien simplement « de » Racine. La formulation n’est pas trompeuse, car aucun parti-pris spectaculaire ne vient détourner de l’œuvre elle-même. Chacun de ses vers se retrouvent, dans une mise en scène aux accents certes contemporains mais qui n’a d’autre ambition que de mettre en valeur le texte. Ce qui a longtemps dominé le théâtre, qui lui a même servi de définition – la mise en scène d’une œuvre classique avec une perspective moderne – fait figure d’exception dans les programmations de ces dernières années. Le spectacle de Chloé Dabert ne promet donc « que » la redécouverte de l’œuvre de Racine à notre époque – et c’est finalement déjà pas mal.
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