Étiquette : Annie Ernaux

« Les Années » d’Annie Ernaux [extrait] – 1968, première année du monde

Sortaient de partout des mouvements, des livres et des revues, des philosophes, critiques, sociologues : Bourdieu, Foucault, Barthes, Lacan, Chomsky, Baudrillard, William Reich, Ivan Illich, Tel Quel, l'analyse structurale, la narratologie, l'écologie. D'une façon ou d'une autre, que ce soit Les Héritiers ou le petit livre suédois sur les positions sexuelles, tout allait dans le sens d'une intelligence nouvelle et d'une transformation du monde. On baignait dans des langages inédits, ne sachant où donner de la tête, surpris de ne pas avoir entendu parler de tout cela avant.
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« Les Années » d’Annie Ernaux – reconstituer l’air du temps sur près de 70 ans

Après de premiers courts textes autofictionnels ou autobiographiques, Les Armoires vides, La Femme gelée, La Place, Une femme ou encore L’Événement, Annie Ernaux opère un déplacement avec Les Années, en 2008. Cette œuvre se distingue des précédentes par son ampleur tout d’abord – 240 pages –, et par le fait que le « je » disparaît à la faveur d’un « on » et d’un occasionnel « elle », signe le plus manifeste d’un changement de focale. L’autrice ne se livre pas cette fois au récit plusieurs fois repris par différentes entrées d’un parcours de transfuge de classe. Si sa trajectoire est toujours présente en filigrane, car elle se conserve comme point d’observation de la société dans laquelle elle vit, son projet est cette fois beaucoup plus ambitieux : rendre compte des années. Le titre est provoquant, car il ne dit pas lesquelles, mais il invite de cette façon à renoncer à aborder le texte comme un document strictement historique sur une période précisément balisée. S’il en est malgré tout bien un, c’est au même titre que les archives INA dont il partage la saveur, mais une saveur décuplée par sa longueur et sa capacité à rétablir de la continuité dans notre appréhension du temps.
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« Les Forces vives » de Camille Dagen à la Comédie de Reims – Simone de Beauvoir, matière à penser, matière à jouer

Un an après sa création au Maillon, à Strasbourg, et après un passage au Festival d’Automne à Paris, Les Forces vives de la compagnie Animal Architecte est accueilli à l’Atelier de la Comédie de Reims pour sept dates. Trois heures trente de spectacle avec entracte sont annoncées pour une vasque fresque théâtrale inspirée par Simone de Beauvoir, fondée sur plusieurs de ses écrits : Le Deuxième Sexe, Cahiers de jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses. Le matériau de départ est si vaste qu’il impose d’inventer une forme capable de rendre compte de toutes ces lectures et de la vie qu’elles s’efforcent de saisir. Le résultat est un spectacle d’une grande intelligence, dramaturgique mais aussi théâtrale, qui en apprend autant sur Beauvoir et sur l’époque qu’elle a traversée que sur les moyens qu’a la scène de raconter.
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« Les Armoires vides » d’Annie Ernaux – dernier jour d’une condamnée

Le premier roman d’Annie Ernaux, Les Armoires vides, contient en puissance plusieurs de ses œuvres à venir. Dans ce texte d’inspiration autobiographique, l’autrice relate son enfance et son parcours de transfuge, du café-épicerie de ses parents à l’université, au travers du personnage de Denise Lesur. Quoiqu’elle révèle en creux la genèse d’une autrice, l’œuvre ne livre pas le récit victorieux d’une ascension sociale permise par l’école. La trajectoire de la jeune femme est retracée dans un moment de crise, qui la condamne selon elle à la fatalité de son milieu d’origine.
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« La Femme gelée » d’Annie Ernaux – récit d’une émancipation avortée

L’œuvre d’Annie Ernaux qui vient de se voir décerner le Prix Nobel de littérature se lit comme un puzzle. Ses différents textes qui embrassent des pans plus ou moins grands de sa vie, toujours au cœur de son écriture, constituent différentes pièces qui esquissent un paysage chaque fois agrandi. Dans La Femme gelée, la troisième de ses œuvres publiée en 1981, l’autrice suit le fil de l’enfant et la jeune fille qu’elle a été pour comprendre comment elle est devenue une « femme gelée », prise en étau entre son rôle d’épouse, son rôle de mère et son métier de prof de lettres ; comment elle s’est progressivement inscrite dans une différence de genre qu’elle ignorait dans l’enfance. Moins que la trajectoire d’une transfuge de classe, qui s’émancipe de son milieu social grâce à ses études, l’œuvre conte l’histoire d’une femme qui perd toute la liberté que ses parents ont cherché à lui offrir en occupant comme malgré elle la place que lui assigne un modèle bourgeois.
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« Mémoire de fille » d’Annie Ernaux – l’écriture faite œuvre

L’écrivaine Annie Ernaux consacre sa dernière œuvre, Mémoire de fille, au récit d’un épisode précis de sa vie, sa première fois avec un homme. Sur le mode de l’enquête, elle revient sur cet événement qui a continué à l’obséder longtemps après – au point d’y revenir près de soixante ans plus tard – et tente de réinscrire le mystère encore difficile à percer qu’il représente dans une continuité.…

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