« Lorsque l’enfant était enfant », Peter Handke

lui-même long poème sur la vie et l’amour.


Chapitre XIII
Le lendemain, Laurent s’éveilla frais et dispos. Il avait bien dormi. L’air froid qui entrait par la fenêtre fouettait son sang alourdi. Il se rappelait à peine les scènes de la veille ; sans la cuisson ardente qui le brûlait au cou, il aurait pu croire qu’il s’était couché à dix heures, après une soirée calme.…

J’ai été fier du premier pas que j’ai fait, mais j’ai eu honte du deuxième ; de même j’ai été fier de la première main que je me suis découverte, mais j’ai eu honte de la deuxième main ; j’ai eu honte de tout ce qui se répétait ; pourtant j’ai déjà eu honte de la PREMIÈRE phrase que j’ai prononcée, alors que je n’avais déjà plus honte de la DEUXIÈME et que je me suis vite habitué aux suivantes.…

Ce jour-là le facteur Boniface, en sortant de la maison de poste, constata que sa tournée serait moins longue que de coutume, et il en ressentit une joie vive. Il était chargé de la campagne autour du bourg de Vireville, et, quand il revenait, le soir, de son long pas fatigué, il avait parfois plus de quarante kilomètres dans les jambes.…

Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités.…

Je suis entouré d’hommes qui me sont inconnus dans un vieil ascenseur dont la cage brinqueballe pendant la montée. Je suis habillé comme un employé ou comme un ouvrier un jour férié. J’ai même mis une cravate, le col me gratte le cou, je transpire.…

[…]
MARIE – Grand-père, ne le dites pas ce soir !…
LE VIEILLARD – Tu perds courage aussi… Je savais bien qu’il ne fallait pas regarder. J’ai près de quatre-vingt-trois ans, et c’est la première fois que la vue de la vie m’a frappé.…

Acte II, scène 4
MONSIEUR JOURDAIN : […] Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.…

L’homme était grand, très grand, qui se tenait sur la rive, près de la barque. La clarté de la lune était derrière lui, posée sur l’eau du fleuve. A un léger bruit l’enfant qui s’approchait, lui tout à fait silencieusement, comprenait que la barque bougeait, contre son appontement ou une pierre.…

LE SOULIER DE SATIN
… Comme après tout il n’y a pas impossibilité complète que la pièce soit jouée un jour ou l’autre dans, d’ici dix ou vingt ans, totalement ou en partie, autant commencer par quelques directions scéniques. Il est essentiel que les tableaux se suivent sans la moindre interruption.…