« La Compagnie des spectres » d’après Lydie Salvayre par Zabou Breitman

Zabou Breitman est dans La Compagnie des spectres adaptatrice, metteur en scène et comédienne. Même plus, elle est seule en scène, et s’empare de l’œuvre de Lydie Salvayre avec beaucoup de talent et d’humour. Partant de ce texte, elle nous communique une émotion palpable.

SpectresLe jour-même où un huissier débarque dans l’appartement de Louisiane et de sa mère à Créteil, en vue d’une expulsion prochaine pour cause de loyer impayé, la fille ne peut rien faire pour empêcher sa génitrice de raconter le passé qui la hante. C’est précisément de cela dont il est ici question, de ces spectres qui empêchent de vivre dans le présent, et qui sans cesse interfèrent.

Alors que l’huissier, imperturbable, recense la quantité d’objets sans valeur qu’elles ont accumulé au fil des ans, la mère redit comme tous les jours mais à un nouvel auditeur l’histoire qui est la sienne. En réalité, il s’agit de celle de sa famille. De son frère d’abord, agressé puis tué par des miliciens, puis celle de sa mère, qui a tout fait pour rencontrer le Maréchal Pétain et pour mettre fin aux primes de divulgations qui entraînaient des comportements pervers des collabos.

Le point de mire est donc 1943, la République de Vichy. La fille, qui toute sa vie a entendu l’histoire du Maréchal « Putain », tente sans succès d’épargner l’huissier et de limiter les élans révolutionnaires de sa mère – écartelée entre deux temporalités, incapable de les différencier – mais finit par se laisser convaincre par cette fougue.

Zabou Breitman assure à elle seule trois rôles. Elle relate ce jour de la visite de l’huissier, le plus proche dans le temps et qui situe Louisiane à son tour dans le passé, et remonte progressivement le cours du temps jusqu’à la grand-mère de celle-ci. Un même visage et un même corps pour trois personnages donc, qui chacun porte le fardeau de celui qui le précède. La continuité, parfois vécue comme une fatalité mais aussi relativisée, est ainsi soulignée.

LA COMPAGNIE DES SPECTRESEvoluant dans un espace réaliste, au sein d’un décor chargé de multiples détails mais qui ne viennent à aucun moment parasiter le texte, le passage de la fille à la mère, et de la mère à la grand-mère, se fait avec beaucoup d’aisance et de clarté. Simplement en changeant de voix et d’attitude, elle incarne très joliment ces trois femmes, et redonne vie au passé.

Le texte est riche en images concrètes, que la comédienne fait résonner avec force, et malgré la tonalité sombre du propos, le spectacle est plein d’humour. La valse de Zabou Breitman avec un Maréchal de chiffon et la relation intime qui s’ensuit est notamment une pantomime particulièrement maîtrisée, qui ravit et atténue pour un instant le flot de paroles déversé.

L’histoire de ces trois générations est belle, habilement racontée, et sans fausse note. L’émotion de la comédienne au moment des applaudissements est bien réelle, et l’on prend là la mesure de son investissement personnel dans ce spectacle.

F.

Pour en savoir plus sur « La Compagnie des spectres », rendez-vous sur le site du Off d’Avignon.

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