« Une mouette » d’après Anton Tchekhov au Théâtre Paris-Villette

Alors que se joue à l’Athénée La Mouette de Tchekhov, mise en scène par Christian Benedetti, Isabelle Lafon propose Une mouette, d’après Tchekhov, au Théâtre Paris-Villette. Une magnifique création servie par cinq comédiennes profondément humaines qui rendent hommage au texte.

Le spectacle d’Isabelle Lafon est une sorte de mise en récit de la pièce de Tchekhov. Cinq femmes nous la racontent, décrivant le cadre dans laquelle elle se joue, les relations complexes entre les personnages, les paroles qu’ils échangent, et leurs gestes. Peut-être sont-elles en train de décrire une mise en scène à laquelle elles assistent, la commente-t-elle à la manière d’un chœur antique, mais progressivement la tension entre le raconter et le jouer devient de plus en plus forte.

La parole circule de l’une à l’autre, constamment redistribuée, à tel point que l’on ne peut deviner quelle sera la prochaine qui s’en emparera après un bref instant de suspens et de silence. Petit à petit, à mesure que les actes se déroulent, le récit fait place au dialogue de théâtre et à l’incarnation.

Parfois, un personnage s’accroche à une comédienne, et celle-ci en devient indissociable. On retrouve donc Tréplev, Nina, Arkadina, Macha et le médecin Dorn. Le grand absent sur cette scène est l’écrivain Trigorine, à qui la parole n’est accordée qu’une seule fois, rapidement. Ce retrait est la preuve la plus évident de la manipulation qui a été faite du texte, de la réduction à l’essentiel à laquelle a procédé Isabelle Lafon.

Et pourtant, malgré la suppression de répliques, la transformation de dialogues en monologues, il est remarquable de constater à quel point le texte se fait entendre et est mis en valeur. Sa dimension dramatique et tragique est atténuée au profit de sa beauté, et certaines phrases résonnent particulièrement.

La scénographie du spectacle est en grande partie responsable de cette mise en valeur du texte. Les cinq femmes sont en ligne, face au public, enfermées dans un long rectangle de lumière qui s’avance un peu plus à chaque acte. Le dépouillement lumineux et sonore concentre l’attention du spectateur sur les comédiennes, qui apparaissent profondément vives parmi les voûtes en pierre du Théâtre  Paris-Villette mourant.

Complices, leur jeu est de plus en plus souple à mesure que le spectacle progresse. Alors qu’elles se regardent en coin au début, elles se font progressivement face et vont jusqu’à esquisser des contacts physiques, simplement effleurés. Quand elles ne parlent pas, elles s’écoutent les unes les autres, créant une communion vivante autour de celle qui détient la parole.

Chacune est séduisante à sa façon, et convaincante dans sa posture intermédiaire entre narratrice et personnage. Cela sert l’exercice passionnant de mise en récit du théâtre qu’Isabelle Lafon nous propose. Ce n’est certainement pas un hasard si elle se sert de la traduction d’Antoine Vitez pour ce spectacle, lui le maître du théâtre-récit. Après lui, elle semble mettre en place ce que l’on pourrait appeler du récit-théâtre, un théâtre où l’on raconte une pièce, avec ses répliques mais aussi ses didascalies et ce qu’elle contient de façon sous-jacente.

Dans ce spectacle, les coupes dans le texte de Tchekhov sont moins vécues comme un manque que comme la preuve d’un art de la réécriture et de la manipulation textuelle véritablement stimulant intellectuellement parlant. Une très belle harmonie, au sens musical, prend forme et s’impose comme une évidence. Ces cinq femmes nous proposent un théâtre sensible, complice, qui suscite une réelle émotion.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur « Une mouette », rendez-vous sur le site du Théâtre Paris-Villette.

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