« Temps » de Wajdi Mouawad à Chaillot

Les fables du québécois Wajdi Mouawad ont trouvé leur public en Europe. Temps s’inscrit dans la continuité de sa trilogie LittoralIncendiesForêt, présentée à Paris en septembre 2010. Dans ce spectacle créé l’année suivante et repris à Chaillot cette saison, l’artiste reprend les thèmes qui lui sont chers : la quête identitaire au sein d’une famille démembrée par de lourds secrets.

Dans une ville mythique du Québec, dont les trois caractéristiques sont sa mine, son froid inhumain et les rats qui l’envahissent à intervalles réguliers, un homme est sur le point de mourir. Napier de la Forge en est à la fois l’ingénieur et le poète. Ce grand homme souffre de la maladie d’Alzheimer. Si lui oublie, tous les habitants se souviennent qu’il a violé sa fille pendant des années, conduisant sa femme à s’immoler.

Au seuil de la mort de son père, Noëlla, l’enfant devenue sourde mais restée à ses côtés toutes ces années, rappelle auprès d’elle ses deux frères, qu’elle a abandonnés dans un hospice après la mort de leur mère. Il s’agit pour eux trois de se diviser l’héritage du père. Ce sont moins ses manuscrits et ses poèmes qu’il leur lègue qu’un passé insupportable à redécouvrir.

Après une scène introductive qui dit le froid, pose le problème de la communication et met en scène la perte de repères de Napier, un monologue nous livre l’ensemble de ces éléments. Ce sac de nœud qui nous est lancé en pleine face dès le début anéantit toute forme de suspens. La révélation laisse la place à ce qui l’entoure : l’aveu, les explications, la difficulté à dire et le désir de comprendre.

L’écriture de Mouawad est redoublée sur scène, de façon plus ou moins redondante. La violence du propos, qui ne peut que toucher quelle que soit sa mise en forme, trouve sa réalisation scénique au niveau sonore. Les effets qui suggèrent le vent et les rats, la musique rock et les coups de feu sont tellement forts qu’ils sont même entendus par la sourde, grâce aux vibrations qu’ils génèrent.

De même, la difficulté à communiquer autour des traumatismes que sont le viol et la mort par immolation est proprement incarnée sur scène par la présence de deux interprètes : l’une parle le langage des signes, l’autre le Russe. D’un des frères à la sœur, elles sont toutes les deux nécessaires pour que le dialogue puisse avoir lieu.

Si cela entre en compte dans la symbolique du texte, cet élément est symptomatique de l’ensemble : les dialogues sont rares. Les échanges ont plutôt la forme de longues tirades déclamées avec solennité, face au public. Sur ce plateau extrêmement vide, dont les voiles permettent des jeux d’ombres et de lumière, la solitude en résulte accrue. Les courtes scènes exigent des transition trouvées dans le déplacement de quelques objets et des changements d’atmosphère lumineuse.

Le manque d’interaction et l’extrême force des émotions, affrontées sans ambages, paralyse les comédiens, campés sur leurs deux jambes et s’efforçant de porter le texte. Pour évoquer l’horreur dont il est question, ils hésitent entre les cris et la distance critique. La coexistence des deux échoue à faire dépasser le stade de la fiction jouée au théâtre.

Ce que révèle cette mise en scène est que le texte se suffit à lui-même dans sa violence et sa crudité. L’écriture livre tous les éléments sans énigme et sans mystère, et sa parole est assez explicite pour se passer de corps et de costumes. Un bon drame n’assurant pas un bon spectacle, l’œuvre aurait trouvé un accueil plus favorable dans le genre romanesque.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur « Temps », rendez-vous sur le site du Théâtre de Chaillot.

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