« Incendies » de Wajdi Mouawad à Chaillot

Dans sa Trilogie, « Littoral », « Incendies » et « Forêt », Wajdi Mouawad mêle au patrimoine commun sa propre histoire, son vécu. Chacune des trois pièces est l’accouchement d’une pensée en gestation, dont les grandes lignes sont la quête identitaire et le voyage initiatique.

« Incendies » est le deuxième volet de l’oeuvre de Mouawad, proposé à Chaillot en cette rentrée. Malgré la durée, 2h40, les places se font vite rares. Une fois lancés, plus un doute, plus une seconde d’ennui. Nous sommes transportés dans une archéologie familiale dont il faut trouver le sens avec Jeanne et Simon.

A la mort de leur mère, le notaire tient à ce que les jumeaux suivent à la lettre le testament. Les voilà investis de deux missions : retrouver leur père qu’ils croyaient mort et leur frère, dont ils ignoraient l’existence. Dans le silence du deuil, le messager se fait l’avocat bavard de la défunte.

Dès lors, c’est un voyage dans l’espace et le temps qu’entreprend Jeanne, la première, mais aussi, quelques années plus tôt, sa mère, Nawal, de sa prime jeunesse à la veille de sa mort. Les époques se croisent, véhiculant la parole et apportant petit à petit des réponses, des pistes.

Le verbe tient une place centrale. Il est celui qui relie les personnages, grâce aux rencontres et aux intermédiaires. Il structure l’espace et vient donner du sens aux chaises et aux escabeaux dans ce rectangle blanc. Après le mutisme du décès, la parole se fait enfin jour et la vérité finit par éclater.

Les phrases surgissent donc de toutes parts, certaines résonnant fort et longtemps. Ici, comme dans la mythologie, la vie, la naissance et la mort, l’amour et la haine, sont abordés à l’aulne d’une histoire sur trois générations. Tels les Atrides, les membres de cette famille s’entredéchirent, se poursuivent et se vengent au nom de l’amour.

Ainsi, les épisodes ne sont pas dépourvus de violence et de cruauté dans la guerre, et de sentiments tout aussi puissants dans la quête. Trouver son origine devient un combat avec soi-même, avec ses peurs et ses dénis. Les jumeaux les dépassent et réussissent à tenir leur promesse, suivant par là la bravoure de leur mère.

Les liens du sang ont vaincu et le polygone familial est rétabli. Les incendies de la haine ont été purifiés à force d’eau, et la pluie finale vient saluer la reconstitution de l’histoire.

L’universel jaillit à chaque instant : les personnages évoluent, les lieux sont indéterminés, les émotions sont finalement partagées. L’humanité se trouve réunie là, sur scène, à la façon des Antiques qui cherchaient à provoquer la Catharsis.

Dans cette épopée moderne, l’émotion est puissante et les échos nombreux. Outre Œdipe, incontournable, on retrouve la voix d’un autre auteur contemporain : Kateb Yacine. Les éléments de culture tribale, les répercussions des évènements d’une génération sur les suivantes et l’obsession de mêmes thèmes dans différentes œuvres, sont autant de points communs.

L’un comme l’autre partagent le traumatisme d’un exil, d’un combat, d’une culture à reconstruire. Dans les deux cas, l’écriture est un exutoire poignant, un partage qui transcende l’individualité, d’un homme ou d’un pays.

 

F.

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