« Baudelaire dernière escale » est le voyage du poète de l’enfance à la mort, avec pour seule compagnie sa malle, qui peut faire office de bureau, de bateau ou d’abri. À partir de ses poèmes en prose et en vers et de sa correspondance, Fabrice Merlo retrace le parcours du poète le plus connu du XIXème siècle.
L’artiste solitaire, outre les lettres qu’il adresse à ses proches ou à ses éditeurs, cherche sa voix à travers la poésie. Son parcours se dessine et les poèmes des Fleurs du mal deviennent les jalons d’un itinéraire mouvementé et instable.
Les vers sont moins déclamés que racontés. Peu parviennent jusqu’au public qui cherche un guide, une orientation et ne les prend pas pour eux-mêmes. On ne peut prendre le temps de les écouter, d’entendre leur musique, et les plus connus sont devancés par les petites dames, trop contentes de les connaître.
Ce que l’on voudrait, c’est se faire répéter ceux que l’on connaît mal, c’est prendre le temps de savourer plutôt que de se laisser balloter par la mise en scène – très inventive au demeurant.
F. pour Le Bruit du OFF
Vous avez vu la même représentation que ce critique :
AVI CITY LOCAL NEWS LE 10 juillet 2011
« Baudelaire, cet écrivain maudit, est mis magistralement en paroles par Fabrice Merlo.
Dans la pénombre d’une scène, nue et noire, une malle ancienne, et lui, Baudelaire. Au seuil de sa vie, il se souvient, déclame, nous conte son destin, ses errances, ses doutes, ses certitudes, ses joies et ses peines au travers de ses lettres, de ses poèmes. Des textes qui sont pris à bras-le-corps et avec une intensité fiévreuse par l’acteur, qui, tel un funambule, nous entraîne sur le fil de l’abîme avec une voix aux couleurs des éblouissements des cieux. Un hommage vibrant et intense est rendu au poète visionnaire qui écrivit : « J’ai pétri de la boue, j’en ai fait de l’or ». Dont acte !… »
http://www.citylocalnews.com/festival-avignon/2011/07/10/baudelaire-derniere-escale
Floriane,
Je viens de lire votre critique. Elle est très dure. Elle détournera beaucoup de spectateurs de voir ce spectacle. Elle m’a touchée au coeur et fait mal. Et fera évidemment beaucoup de mal au spectacle. Je ressens probablement ce qu’a ressenti Baudelaire au moment de l’article du Figaro qui conduira au procès des Fleurs du Mal : tant de travail, de réflexion, d’effort, un public qui après une deuxième représentation ressort heureux et une personne en position de pouvoir et avec une tribune qui par son opinion peux influencer négativement le cours d’une aventure va prendre sa plume. Je devrais simplement écrire en citant Baudelaire:
« J’avais primitivement l’intention de répondre à de nombreuses critiques, et, en même temps, d’expliquer quelques questions très simples… … et je me suis arrêté devant l’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j’amoncèlerais sans fruit les explications. »
Je n’ai ni le talent ni la sagesse de Baudelaire et je vais donc probablement amonceler sans fruit les explications.
J’ai trouvé votre critique très injuste. La proposition de ce spectacle n’est pas la déclamation mais de prendre l’oeuvre de Baudelaire et d’en faire une pièce de théâtre: une libre biographie du poète. Evidemment il y a le risque de perdre quelques vers mais qu’importe. Ce risque je l’assume sachant qu’après quelques représentations je pourrais faire passer tous les vers sans perdre la situation dramatique. De la déclamation on en voit assez souvent et c’est très souvent ennuyeux. Quand j’entends le mot déclamation je vois le vieil acteur qui pose sa voix, l’ennui qui s’installe et le vieux théâtre bourgeois : « Oh quelle diction , quelle voix ». Cela se fait encore beaucoup et ce n’est pas ma tasse de thé. Je pense même que c’est la mort du théâtre. Ce que notre génération d’acteur doit faire c’est redonner du naturel et de l’humanité aux vers et aux poèmes et ne plus être l’acteur qui montre sa diction et pose sur la scène. Le théâtre français fier de sa langue est encore à la traîne dans cette révolution de l’interprétation initiée par Stanislavski et résiste en disant toujours « les mots les mots ». Ma proposition n’est pas dans la veine de Lucchini que j’apprécie assez au demeurant mais qui n’a fait que renforcer cette tendance à sacraliser le mot aux dépends la situation et de l’action. Quand je dis : « Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleil » je vois à la lecture du poème que le poète est âgé, aigri, fatigué et je considère que cette situation préexiste aux mots. C’est donc elle qu’il faut jouer. Les mots vont ensuite se poser sur cette situation. L’acteur n’est pas là pour jouer les mots ou les vers mais une situation existentielle. C’est ainsi que le spectateur sera ému. Dimanche j’ai senti la salle et son écoute et les vers leurs sont parvenus contrairement à ce que vous affirmez.
J’ai joué, j’ai été critiqué. C’est le jeu et je prends ce qu’il y a de bien dans votre critique. A savoir faire d’avantage d’effort pour faire passer les vers. En revanche votre proposition de déclamation non merci. Ce serait la mort de ce spectacle. J’ai joué des versions préparatoires de ce spectacle pour des lycéens qui me remerciaient de jouer ainsi alors qu’il étaient venus en trainant les pieds par peur de l’ennui.
Ma critique de votre critique. Dites plutôt « je » que « on ». Vous n’êtes pas le public. Il ne vous a ni élue ni investie d’un quelconque pouvoir. Ne parlez pas en son nom. Parlez plutôt en votre nom. Parlez peut-être aussi de votre ressenti et comptez moins les vers. Quant aux petites dames la critique est vraiment injuste. Quand un acteur dit sur scène « Luxe calme et volupté » parfois un spectateur, souvent une dame âgée est heureuse de vous devancer et de finir le vers (ce qui est d’ailleurs la preuve que les vers lui parviennent) et ce quelque soit la manière dont vous interprétez le poème. Pourquoi ? Je ne sais pas. Besoin de participer, de montrer sa culture, d’aider l’acteur. Il fut un temps où je trouvais cela agaçant maintenant je comprends qu’il y a souvent une forme d’affection pour l’acteur dans ce geste, un besoin d’être ensemble, et je ne m’en offusque pas. Le métier de critique est très important. C’est un lien entre le public et le spectacle. Je pense que vous prenez cela au sérieux. Vous avez une plume. Continuez. Appliquez aussi cette dureté avec des spectacles plus installés, d’avantage subventionnés.
Enfin je me pose quelques question : N’avez vous rien ressenti dans votre coeur, n’avez vous pas été émue pendant ce spectacle ? Que s’est il passé avec cette spectatrice ? Peut-être voulait-elle de la déclamation et déçue ne pouvait ensuite plus écouter ni recevoir le spectacle. Et manque de chance c’était une critique.
L’artiste blessé que je suis se sent mieux. je ne pouvais pas ne pas répondre car mon travail, c’est ma vie, c’est mon engagement. J’en avais besoin pour me remettre sereinement au travail: donner ces vers, interpréter ces situations et défendre une conception du théâtre. « Jouez c’est vivre réellement dans des circonstances imaginaires » (Sanford Meisner, pédagogue américain) et dans ces circonstances dire des mots et non pas l’inverse. Que tous les spectateurs qui se retrouvent dans cette proposition viennent voir ce qu’elle peut donner appliquée à la poésie et à Baudelaire et que les autres viennent également pour voir si par hasard il ne changerait pas d’avis.
Cordialement,
Fabrice Merlo
Bonne route.
Vous êtes bien évidemment la bienvenue pour une des dernières représentations du spectacle et pour changer d’avis.
Bonjour Monsieur,
Je vous remercie tout d’abord. Vous êtes le premier à faire usage de votre droit de réponse avec intelligence et dignité. J’ai reçu quelques mails incendiaires de compagnies dont je n’ai pas apprécié suffisamment le spectacle à leurs yeux et aucune n’a vraiment pris le temps de répondre comme vous l’avez fait.
Je suis contente de votre réponse. Elle éclaire les intentions que j’avais soupçonnées et affirme votre projet qui est très noble.
Etudiante en lettres que je suis, on m’a appris à lire, relire et répéter les vers. Vous avez cité à juste titre Luchini. Il a beaucoup de défauts à mes yeux, mais c’est un des seuls qui a compris que répéter, comme relire, est à la base de tout. Je suis allée voir, pendant mon séjour à Avignon, Jacques Weber, dont les prétentions sont similaires, mais qui, contrairement au premier, n’indique pas les références et passe d’une traite sur les textes, quand parfois il suffirait de ne redire qu’un bout de phrase pour la rendre percutante.
Pour ce qui est de votre spectacle, je l’ai dit : je l’ai trouvé très esthétique, très inventif. Néanmoins, j’aurais voulu véritablement découvrir des textes et des vers et prendre le temps de les apprécier : peut-être mon intention d’origine était-elle mauvaise ? Certes, votre projet n’était pas de faire de la déclamation, mais sans aller jusque là, je pense qu’on peut sortir de la narration un instant pour mettre l’accent sur la beauté, sur la musique.
Que les petites dames répètent chaque fois les vers qu’elles connaissent indiquent à mes yeux qu’elles se raccrochent à ça, un peu perdues qu’elles sont le reste du temps. Je suis la première à les devancer dans ma tête, en me disant que celui-là m’est familier, et qu’ils sont peu face à la multitude de ceux qu’on entend. Ce que j’ai ressenti ? De la désorientation. Un vers est difficile à recevoir, à comprendre, on ne peut le lire comme une phrase de roman, il n’est pas fait pour ça.
Je suis désolée de l’impact que pourra avoir mon humble avis (le ‘je’ déguisé par le ‘on’ universel), mais pense sincèrement que Baudelaire reste un laissez-passer qu’aucune critique ne peut entamer. Je suis persuadée que beaucoup de petites dames encore et même des étudiants férus ne se fieront qu’à leur jugement pour aller venir vous voir, comme moi je l’ai fait.
Je ne pourrai malheureusement pas revenir renouveler mon opinion à Avignon cet été, mon séjour là-bas ayant déjà pris fin. Toutefois, si vous repassez à Paris, je serai à l’écoute, suite à cette réponse.
Bon courage,
Floriane
Floriane,
Je vous remercie d’avoir publié ma réponse à votre critique et d’avoir pris le temps d’y répondre. Vive le débat démocratique !
Cordialement,
Fabrice Merlo