« Les Soliloques de Mariette » d’après Albert Cohen

Mariette ? C’est la domestique des Deume, et surtout, celle qui a suivi Ariane d’Auble depuis son enfance jusqu’à sa vie d’épouse non-épanouie. Tirés textuellement du roman d’Albert Cohen, Belle du Seigneur, ses soliloques mêlent à ses petits soucis quotidiens le dessous des humeurs de sa maîtresse.

Seule, dans sa cuisine, elle s’adresse à un auditoire imaginaire, se croyant tantôt au confessionnal, tantôt au coin de la rue en discussion avec une de ses semblables. Elle confie ses observations, sur Didi, ou sur les bains d’Ariane et les « térégrammes » qu’elle reçoit. Rien n’échappe à son œil curieux, et elle se situe véritablement comme un personnage omniscient.

Ainsi, elle relate dans son propre langage, nourri de cuirs et de pataquès, qu’il y a « anguille sous cloche », et qu’il doit bien y avoir une raison pour laquelle sa chère maîtresse ne veut plus rien avaler. Certes, sa santé l’inquiète, mais pas autant que tous les plats qu’elle a cuisinés et qui seront gâtés si elle-même ne les engloutit pas.

Dans son univers de domestique, elle s’active tout en bavardant, pour faire briller l’argenterie, pour raccommoder un tissu ou pour arranger un bouquet. Ses mains tortillent sans cesse son torchon, et sa frénésie à tout nettoyer montre bien qu’elle se sent touchée par un tas de choses.

Par fidélité, elle suit Ariane, dans sa fuite avec Solal. Mais ce qu’elle croyait être une bonne chose pour sa protégée n’est en réalité que le leurre d’une illusion grotesque. Leur conception de l’amour pur ne lui plaît pas, et elle préfère rendre son tablier que devoir supporter tant d’hypocrisie.

Finalement, c’est peut-être elle la voix de la sagesse dans tous ses tourbillons de sentiments. En cela, elle entre directement dans la lignée de la Nicole de Molière, qui tourne en dérision et s’effraie des folies de Monsieur Jourdain.

Si elle ne fait pas progresser l’action, ses commentaires l’éclairent et ouvrent des perspectives. Cette fois-ci, elle s’apparente au Jardinier de l’Electre de Giraudoux. Dans son lamento qui marque une pause dans la tragédie, il se place à la frontière du drame et du public et se fait le porte-parole de l’auteur.

Enfin, comment ne pas penser à Françoise, que le narrateur proustien ne cesse d’observer pour la richesse que son langage maladroit révèle. Ses propos, à elle aussi franches et abrupts, sont un ancrage dans la réalité la plus profonde.

Anne Danais propose une performance riche en échos, et la justesse de son jeu et de son parler réjouit. C’est une merveilleuse façon de réapprocher Belle du Seigneur et de revenir à l’oralité d’origine de Cohen, dictant son roman à sa dactylographe.

F.

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