La maison de Gide à Cuverville

La maison de Gide à Cuverville est aujourd’hui une propriété privée. Cela n’empêche pas ses habitants d’offrir aux plus volontaires une visite qui restitue l’histoire de la maison et le séjour qu’y fit l’auteur chez sa femme, Madeleine Rondeaux.

Le livre d’or et l’exemplaire de La Porte étroite dans l’entrée nous indiquent rapidement la générosité et la chaleur de l’accueil des hôtes. Certes, l’été n’est pas pour eux la période idéale car leur famille est de passage, mais nous sommes là, et ils font avec.

On commence donc la visite, avec un peu d’Histoire : depuis 1730, la maison n’a vu que quatre propriétaires. Les précédents étaient la famille de Madeleine, la « bonne dame de Cuverville », cousine germaine et femme d’André Gide. Elle y a passé toute sa vie, aimée de tous ceux qui la connaissaient, et est enterrée aux côtés de son époux dans le cimetière voisin.

Le peu de propriétaires explique probablement l’authenticité du lieu. Les deux façades principales témoignent ainsi d’un débat encore irrésolu sur son état d’origine : l’une est rouge, l’autre est blanche d’enduit. Cette asymétrie mise à part, l’ensemble respire la régularité et l’homogénéité.

A l’intérieur, les traces de l’écrivain ont été réduites à néant lors d’une vente aux enchères. Ne restent que des pièces traversantes, des moulures et un escalier aux marches usées par les pas. Les seuls meubles d’origine sont la table de la cuisine et un coffre fort, « trop lourds pour être déplacés ».

Alors que le Curieux pourrait se sentir envahi d’une grande déception, les propriétaires réussissent à réhabiliter l’esprit de Gide. Ils nous expliquent donc, devant la cheminée, que Madeleine y a brûlé les lettres de son mari un soir de colère ; qu’ils ont placé un piano dans le salon en accord avec le Journal de l’auteur ; que son bureau était situé dans cette pièce-là car il pouvait ainsi profiter de la chaleur de la cuisine ; ou encore que les coffres qu’on voit sous les fenêtres contenaient le bois.

Autant de détails qui ravissent et qui réussissent à satisfaire l’imagination. Le pèlerinage est accompli lorsque le visiteur découvre au fond du jardin la fameuse « porte étroite », qui donna son titre au roman.

Les scènes d’amour de Jérôme et Alissa, eux aussi cousins, resurgissent et prennent encore mieux forme après cette visite. L’émotion du lecteur face à cette histoire tragique est renforcée par la découverte de cet univers désormais familier.

Le succès de l’escapade est dû à la compagnie de personnes n’étant liées à l’auteur que par le foyer qu’ils partagent, à quelques dizaine d’années près : mélange de vécu et de vie actuelle.

F.

 

Dans un jardin pas très grand, pas très beau, que rien de particulier ne distingue de quantité d’autres jardins normands, la maison des Bucolin, blanche, à deux étages, ressemble à beaucoup de maisons du siècle avant-dernier. Elle ouvre une vingtaine de grandes fenêtres sur le devant du jardin, au levant ; autant par-derrière ; elle n’en a pas sur les côtés. Les fenêtres sont à petits carreaux : quelques-uns, récemment remplacés, paraissent trop clairs parmi les vieux qui, auprès, paraissent verts et ternis. Certains ont des défauts que nos parents appellent des « bouillons » ; l’arbre qu’on regarde au travers se dégingandé ; le facteur en passant devant, prend une bosse brusquement.

Le jardin, rectangulaire, est entouré de murs. Il forme devant la maison une pelouse assez large, ombragée, dont une allée de sable et de gravier fait le tour. De ce côté, le mur s’abaisse pour laisser voir la cour de ferme qui enveloppe le jardin et qu’une avenue de hêtres limite à la manière du pays.

Derrière la maison, au couchant, le jardin se développe plus à l’aise. Une allée, riante de fleurs, devant les espaliers au midi, est abritée contre les vents de mer par un épais rideau de lauriers du Portugal et par quelques arbres. Une autre allée, le long du mur du nord, disparaît sous les branches. Mes cousines l’appelaient « l’allée noire », et, passé le crépuscule du soir, ne s’y aventuraient pas volontiers. Ces deux allées mènent au potager, qui continue en contrebas le jardin, après qu’on a descendu quelques marches. Puis, de l’autre côté du mur que troue, au fond du potager, une petite porte à secret, on trouve un bois taillis où l’avenue de hêtres, de doigte et de gauche, aboutit. Du perron du couchant le regard, par-dessus ce bosquet retrouvant le plateau, admire la moisson qui le couvre. A l’horizon, pas très distant, l’église d’un petit village et, le soir, quand l’air est tranquille, les fumées de quelques maisons.

Gide, La Porte étroite

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