Les Somnambules d’Hermann Broch est une de ces sommes romanesques du début du XXe siècle, comme le sont A la Recherche du temps perdu de Proust, Un homme sans qualités de Robert Musil ou La Montagne magique de Thomas Mann. A l’époque où l’Europe vole en éclats, entre la guerre et la révolution russe, où l’unité de l’individu est remise en question avec la découverte de la psychanalyse, la littérature se pose la question de leur représentation. La synthèse paraît désormais impossible pour dire un monde désormais incompréhensible, que plus aucun système de valeur ne peut expliquer. Seul le roman, par son amplitude et la générosité avec laquelle il accueille toutes les formes d’écritures possibles semble pouvoir tenter de capter une parcelle ce chaos. L’Autrichien Hermann Broch se confronte pleinement à ces questions dans cette œuvre de 700 pages, ou plutôt ce triptyque qui accole trois romans, trois trajectoires de trois personnages qui constituent les bases d’un diagnostic sur son temps – mais un diagnostic qui reste souterrain, qui ne vient pas sublimer la singularité de ces trois parties et en proposer une interprétation globale, qui serait contradictoire avec ce monde dont Broch s'efforce de rendre compte.