Le jeune dramaturge Abel González Melo, qui est aussi metteur en scène, crée à Cuba en cette rentrée la pièce de l’auteur madrilène Juan Mayorga Cartas de amor a Stalin (« Lettres d’amour à Staline »), écrite en 1997. Le spectacle révèle que l’histoire des relations russo-cubaines n’est pas entièrement reléguée dans le passé. La présentation – pour la toute première fois à Cuba – de cette fiction qui imagine l’obsession de l’écrivain Boulgakov pour Staline, démontre que la Russie de 1917 ne cesse de hanter la Cuba de 2017, comme figée dans un autre siècle, le XXe, quelque part entre 1917 et 1990. D’une époque à l’autre et d’un pays à un autre, toute une poétique se tisse par superposition, qui enrichit la lecture de l’œuvre, déjà remarquable par sa virtuosité dramaturgique.
La Boulgakova est en joie. Son mari, le fameux Mikhaïl Boulgakov, auteur de nombreuses pièces et romans, est à son bureau. Il semble écrire, pour la première fois depuis longtemps. Est-ce une nouvelle pièce de théâtre ? un nouveau roman ? la suite de la Garde blanche ? un essai ? Non, répond-il, c’est une lettre au camarade Joseph Staline. L’enthousiasme de l’épouse retombe, tandis que Boulgakov fait la lecture de son brouillon. On est en juillet 1929 ; sans détour, ni précautions, l’écrivain cite toutes les œuvres qu’il a écrites qui ont été censurées, toutes les mises en scène de ses pièces qui ont été interdites, toutes ses tentatives de travailler empêchées. Puis il en vient à l’objet de sa lettre : la faveur de quitter l’Union Soviétique, le droit de quitter sa patrie avec sa femme. L’attaque est frontale, contre celui qui incarne le système qui annihile sa créativité. Incapable d’écrire, pleinement pénétré par la menace de censure qui pèse sur lui, Boulgakov n’a eu d’autre choix que prendre la plume pour se libérer de cette emprise intériorisée. Résignée, envisageant le potentiel effet thérapeutique de l’exercice, sa femme lui propose de lui donner la réplique, de jouer le rôle de Staline pour qu’il affûte encore mieux ses mots, d’anticiper les arguments du chef de l’Union soviétique pour mieux les contrecarrer. Boulgakov hésite : que celle qu’il aime le plus au monde incarne celui qu’il hait au plus haut point ? Le mot est lâché, Boulgakov dit haïr Staline. Il va donc lui écrire des lettres d’amour – car de la haine à l’amour, il n’y a qu’un pas.
Mis à l’épreuve par la rhétorique de sa femme, Boulgakov recommence, reprend inlassablement ses brouillons, et multiplie les lettres envoyées au Kremlin. Soudain, il est interrompu par un coup de téléphone : c’est Staline lui-même, qui a reçu ses courriers, et qui veut le recevoir pour discuter de son sort. Mais au moment de prendre rendez-vous, la communication est coupée. Boulgakov reste en suspens, à côté du téléphone, confiant, car la bienveillance de Staline lui a laissé entrevoir un avenir possible. Mais Staline ne rappelle pas. Boulgakov passe toutes ses heures, ses jours et ses nuits à côté du téléphone, et reprend l’écriture de ses lettres que sa femme dépose à la poste. Il est encore plus dévoué à sa tâche depuis qu’il a appris que son ami et rival Zamiatine a obtenu l’autorisation de quitter le pays, d’une simple et unique lettre. Progressivement, il sombre dans la folie… Depuis leur conversation téléphonique, Boulgakov est totalement hanté par les phrases de Staline, il ne cesse de rejouer la scène, analysant chaque mot, chaque intonation, et – vice d’artiste – tissant à partir d’elle un sous-texte, qui attribue des intentions extraordinairement favorables à Staline, à son égard.
L’univers réaliste dessiné par Javier Chavarría – fait d’un espace de bois, de vêtements qui citent la Russie, d’accessoires d’époque – se trouble. A chaque sortie de la Boulgakova, qui s’efforce de trouver d’autres moyens d’extraire son mari de la torpeur et du pays, à chaque ellipse temporelle rythmée par les lumières et les accords en mineur d’un piano, le bureau de l’écrivain se transforme un peu plus en prison. La scène prend la forme de l’espace mental de Boulgakov, il perd de sa tangibilité, et va jusqu’à accueillir Staline lui-même, dans son uniforme. Son apparition est incertaine, dès l’entrée en scène du grand acteur cubain Pancho García ; Staline se poste le long d’un bout de mur, vibrant, et sa présence est d’abord discrète. Puis elle est désignée comme une vision : la Boulgakova ne le voit pas, et Boulgakov croit devenir fou quand il s’en rend compte, sans pour autant douter de la réalité de ce spectre. Il se met alors à dialoguer avec lui, à l’interroger sur la meilleure manière de s’adresser à lui. Petit à petit, il le recrée de toute pièce, l’imagine un être passionné, grand amateur de son œuvre, au point d’en connaître des extraits par cœur – là, la fiction mise en place par sa femme au départ resurgit. De son ennemi, il fait une créature qui lui est favorable.
Il y a quelque chose d’extrêmement russe dans ce personnage de démon qui fait intrusion dans la réalité, ce Staline invoque des réminiscences de Gogol, ou du diable d’Ivan Karamazov. Avec ce fantôme, Mayorga cristallise toute la dialectique torturante et malsaine d’une soumission à une autorité qui ronge, contre laquelle on prétend se rebeller mais que l’on souhaiterait en réalité séduire, acquérir à sa cause, convaincre de sa valeur. Le dramaturge saisit avec beaucoup de justesse le caractère passionnel des sentiments engagés dans ce type de relation, qui part du réel mais se nourrit surtout d’imaginaire.
Boulgakov s’enfonce dans un tourment crépusculaire, insoluble, plus profonde de scène en scène. L’issue paraît introuvable, car la Boulgakova ne réussit pas à obtenir des papiers pour son mari, trop célèbrement dissident, et ce même au marché noir. Le couple se délite, le démon fait douter Boulgakov des intentions de sa femme. Une potentielle résolution est entrevue quand l’obsession dévorante devient soudainement créatrice, quand la manie est transcendée par l’art, quand Boulgakov délaisse les lettres pour s’essayer à une œuvre qui aurait pour personnage principal un démon. Mais l’agent de cette soudaine créativité est aussi celui qui le mine et le ramène à sa mission première, le paralysant jusqu’à la maladie et la démence totale.
La force de cette pièce est d’assumer jusqu’au bout la répétition inlassable – des mots de Staline, des réclamations de Boulgakov… – et plus encore la détérioration comme dynamique. De tels parti-pris sont exigeants pour les comédiens, qui assument sans faiblir le ressassement et l’aggravation. La direction d’acteurs est dans ces conditions tout entière dans la détermination d’un rythme et la modulation des intensités, du chuchotement au cri, de la tendresse à la colère. Comme souvent sur la scène cubaine, le jeu est passionné ; mais il trouve ici un terrain où se déployer, avec cette matière. Les courbes opposées du couple qui se dessinent d’une scène à l’autre transparaissent nettement, notamment avec l’enfermement progressif de la Boulgakova (Liliana Lam), affolée, désespérée, mais en silence, de plus en plus distante de son mari. Alberto Corona – dont la ressemblance avec Staline jeune est troublante, matérialisant dans la réalité la possession du personnage Boulgakov – livre une véritable performance, ne quittant pas une seconde le plateau. La sueur qui le couvre progressivement devient petit à petit l’image de la fièvre qui le saisit, enroulé comme il finit dans une grosse couverture. Pancho García, enfin, impose une présence autre sur scène, plus contenue, plus mesurée. Qu’il bouge à peine le visage ou la main, et il capte le regard. Il y a en lui quelque d’instable aussi, mais qui ne vient pas pleinement à la conscience avant qu’on apprenne qu’il est aveugle. La prouesse de ce grand acteur qui fait son retour à la scène avec cette pièce, pour la première fois depuis qu’il a perdu la vue, paraît d’autant plus grande. Pour ce rôle particulièrement à sa mesure, il a appris tous ses déplacements par cœur et a substitué son ouïe à sa vue – et rien n’y paraît finalement.
A toutes les qualités de ce spectacle s’ajoute encore le fait que la pièce semble écrite pour Cuba. Les discussions de Boulgakov et Staline sur la valeur de l’art officiel, ou sur la fonction de l’art dans la promotion du régime, retentissent ainsi particulièrement. L’acmé de ces résonances est atteinte avec l’échange des deux hommes sur la Révolution. Là, les époques se superposent parfaitement, et ce mot quotidien à Cuba s’enrichit de nouvelles colorations avec le souvenir de celle de 1917. Ce télescopage à la fois troublant et évocateur libère des espaces de réflexion.
En outre, bien qu’il n’y ait pas de censure à Cuba, la question de l’autonomie des artistes et de leur libre circulation est aigüe, quand les démarches à faire pour obtenir un visa sont parfois difficiles et qu’elles se soldent de nombreuses fois par un départ définitif. Boulgakov se demande si on peut créer dans un pays dans lequel on est contraint, et croit qu’en sortir – pour un mois, une semaine, même un jour ou rien qu’une heure – pourrait suffire. Mais Staline, son démon qui le connaît mieux que lui-même, réplique qu’hors de l’Union Soviétique, il serait l’homme le plus malheureux et l’artiste le moins inspiré – et de fait, beaucoup d’artistes cubains ne quitteraient l’île pour rien au monde. Boulgakov n’est pas de la même espèce que Tourgueniev qui écrivait sur la Russie depuis l’Europe de l’Ouest. Il est bien plutôt de celle de Dostoïevski qui haïssait ce dernier pour son départ, et qui défendait le peuple russe envers et contre tout – contre lui-même parfois –, malgré ses débordements, ses travers, et la menace qu’il entrevoyait d’une révolution à venir, l’entendant gronder presque trente ans avant 1917, et qui se savait incapable d’être ailleurs qu’en Russie pour parler de la Russie.
Partir ou rester, cette question se pose aujourd’hui à chaque artiste cubain, et il semble d’une pertinence rare de l’amener ici et maintenant, par cette pièce, avec ces comédiens. Avec Cartas de amor a Stalin, Abel González Melo rappelle qu’avant tout, le rôle d’un metteur en scène est de faire vibrer un texte au-delà de ce que l’auteur avait pu envisager.
F.
El joven dramaturgo Abel González Melo, quien es también director, ha llevado a escena en Cuba a inicios de septiembre la obra del autor madrileño Juan Mayorga, Cartas de amor a Stalin, escrita en 1997. El espectáculo revela que la historia de las relaciones ruso-cubanas no está totalmente relegada al pasado. La presentación –por primera vez en la isla– de esta ficción que imagina la obsesión del escritor Bulgákov por Stalin, demuestra que la Rusia de 1917 no cesa de atormentar a la Cuba de 2017, como si se hallara petrificada en otro siglo, el XX, en alguna parte entre 1917 y 1990. De una época a otra y de un país a otro, toda una poética es tejida por la superposición, que enriquece la lectura de la obra, ya sobresaliente de antemano por su virtuosismo dramatúrgico.
La Bulgákova está feliz. Su esposo, el famoso Mijaíl Bulgákov, autor de numerosas novelas y obras de teatro, se encuentra sentado tras su escritorio. Parece escribir, por primera vez desde hace mucho tiempo. ¿Qué es? ¿Una nueva obra de teatro? ¿Una nueva novela? ¿La continuación de La guardia blanca? ¿Un ensayo? No, le contesta, es una carta al camarada Iósif Stalin. El entusiasmo de la esposa se aplaca mientras Bulgákov le lee el borrador. Estamos en julio de 1929. Sin rodeos ni precauciones el autor cita todas las obras que escribió y que han sido censuradas, todas las puestas en escena de sus obras que han sido prohibidas, todas las trabas a sus intentos de trabajar. Sigue después con el asunto de su carta: la petición de salir de la Unión Soviética, el derecho de abandonar su patria junto a su mujer. El asalto es frontal, va contra quien encarna el sistema que aniquila su creatividad. Incapaz de escribir, realmente afectado por la amenaza de censura que pesa sobre sí, Bulgákov no puede hacer nada sino ponerse a escribir para liberarse de esa influencia que se le ha metido en el interior. Resignada, considerando el potencial efecto terapéutico del juego, su esposa le propone darle entrada al dictador, actuar el papel de Stalin para que el marido afile aún mejor sus palabras, para que anticipe los argumentos del jefe de la Unión Soviética y así lograr obstaculizarlos. Bulgákov duda: ¿que la mujer a quien más ama en el mundo encarne lo que ambos odian al máximo? La palabra es pronunciada, Bulgákov dice odiar a Stalin. Va, entonces, a escribirle cartas de amor –ya que, del odio al amor, no hay más que un paso.
Puesto a prueba por la retórica de su mujer, Bulgákov vuelve a empezar, retoma incansablemente sus borradores y multiplica las cartas enviadas al Kremlin. De repente es interrumpido por una llamada: es Stalin mismo, quien ha recibido sus cartas y quiere recibirlo para conversar de su destino. Pero en el momento de concertar una cita, la comunicación se corta. Bulgákov queda en el aire, al lado del teléfono, confiado, porque la benevolencia de Stalin le dejó entrever un posible porvenir. Sin embargo, Stalin no vuelve a llamar. Bulgákov pasa todas sus horas, días y noches al lado del teléfono, y se pone de nuevo a escribir cartas que su mujer deposita en el correo. Es aún más dedicado a su tarea cuando se entera de que su amigo y rival Zamiatin ha obtenido la autorización de salir del país gracias a una simple y única carta. Progresivamente, cae en la locura… Desde su charla telefónica, Bulgákov se percibe cada vez más atormentado por las frases de Stalin, no para de volver a representar la escena de la llamada, analizando sus palabras, sus entonaciones, y –vicio de artista– tejiendo a partir de ellas un subtexto, que atribuye intenciones admirablemente favorables a su respecto por parte de Stalin.
El universo realista dibujado por Javier Chavarría –hecho de un espacio de madera, de ropas que citan Rusia, de atrezos históricos– se enturbia. Cada vez que la Bulgákova sale, esforzándose por encontrar otros medios para sacar a su marido de su empecinamiento y del país, con cada elipsis temporal, a ritmo con las luces y los acordes tenues de un piano, el escritorio del autor se convierte un poco más en prisión. La escena toma la forma del espacio mental de Bulgákov, pierde su tangibilidad, hasta acoger a Stalin uniformado. Su aparición parece incierta, desde la entrada al escenario del gran actor cubano Pancho García; Stalin se aposta junto a la pared, vibrante, y su presencia es al principio discreta. Luego se entiende como una visión: la Bulgákova no lo ve, y Bulgákov cree volverse loco cuando se da cuenta –sin por ello dudar de la realidad de ese espectro. Se pone entonces a dialogar con él, a interrogarlo sobre el mejor modo de dirigirse a él. Poco a poco, lo recrea en su totalidad, lo imagina un ser apasionado, gran aficionado de su obra, al punto de conocer fragmentos a la perfección –aquí resurge la ficción imaginada al inicio por la esposa. Bulgákov hace de su enemigo una criatura que le es favorable.
Hay algo sumamente ruso en ese personaje del demonio que se introduce en la realidad. Ese Stalin invoca reminiscencias de Gógol, o del diablo de Iván Karamazov. Con ese fantasma, Mayorga cristaliza toda la dialéctica torturante y malsana de una sumisión a una autoridad que carcome, contra la cual uno pretende rebelarse pero a la que en el fondo querría seducir, poner a su favor, convencer del valor propio. El dramaturgo usa con mucha pertinencia el carácter pasional de los sentimientos comprometidos en ese tipo de relación, que parte de la realidad pero que se alimenta sobre todo de la imaginación.
Bulgákov se hunde en un tormento crepuscular, insoluble, más profundo tras cada escena. El término parece muy difícil de encontrar, ya que la Bulgákova no logra obtener papeles para su esposo –demasiado famoso por su disidencia–, ni siquiera en el mercado negro. La pareja se desmorona, el demonio hace dudar a Bulgákov de los propósitos de su mujer. Una potencial resolución es entrevista cuando la obsesión voraz se vuelve de repente creadora, cuando la manía es superada por el arte, cuando Bulgákov deja las cartas para lanzarse a la escritura de una obra que tiene como personaje principal al demonio. Pero el agente de esa repentina creatividad es también quien lo socava y lo lleva de regreso a su misión primera, paralizándolo hasta la enfermedad y la demencia total.
La fuerza de esta obra radica en que asume hasta el final la repetición infinita –de las palabras de Stalin, de las reclamaciones de Bulgákov…– y el deterioro como dinámica. Tales decisiones son muy exigentes para los actores, quienes deben desarrollar el agravamiento de la situación sin disminuir. La dirección de actores determina el ritmo y la modulación de las intensidades, del susurro al grito, de la ternura a la cólera. Como a menudo ocurre en la escena cubana, la actuación es apasionada, pero aquí esa pasión encuentra un terreno donde desplegarse, con esa obra. El crecimiento de la oposición de la pareja se vislumbra con el paso de una escena a otra, en particular con la progresión de la Bulgákova (Liliana Lam), enloquecida, desesperada, pero en silencio, más y más distante de su esposo. Alberto Corona –cual semejanza con Stalin joven, es perturbador, materializa desde lo real la posesión del personaje Bulgákov– ofrece una auténtica interpretación al no abandonar nunca el escenario. El sudor que lo recorre se convierte poco a poco en la imagen de la fiebre que lo consume, hasta acabar enrollado en una gran manta. Pancho García, por fin, impone una presencia otra sobre el escenario, más contenida, más mesurada. Mueve apenas la cara o la mano, capta una mirada. En él hay algo de inestabilidad también –algo de lo que no se es del todo consciente antes de enterarse de que el intérprete es ciego. La proeza del gran actor que vuelve al escenario con esta obra, por primera vez desde que perdió la vista, parece aún más grande. Para ese papel, particularmente hecho a su medida, él realiza todos sus desplazamientos a la perfección y ha sustituido su oído a su vista, sin que uno se percate de ello.
A todas las cualidades del espectáculo se añade también el hecho que la obra parece escrita para Cuba. Las discusiones de Bulgákov y Stalin sobre el valor del arte oficial, o sobre la función del arte en la promoción del régimen, resuenan particularmente aquí. La acmé de esos ecos es alcanzada con el intercambio de los dos hombres a propósito de la Revolución. Las épocas se superponen perfectamente y la cotidianidad con que suenan estas palabras en Cuba se enriquece con nuevas coloraciones al tener presente el recuerdo de 1917. Esa colisión, a la vez perturbadora y evocadora, genera espacios de reflexión.
Además, aunque no haya censura en Cuba, es muy agudo el tema de la autonomía de los artistas y de su libre circulación, si tenemos en cuenta que los trámites necesarios para obtener una visa pueden ser difíciles y conducen a menudo a salidas definitivas. Bulgákov se pregunta si se puede crear dentro de un país en el que se siente constreñido, y cree que irse –por un mes, una semana, incluso un día o solo una hora– podría bastar. Pero Stalin, su demonio, quien lo conoce mejor que él mismo, replica que fuera de la Unión Soviética sería el hombre lo más afligido y el artista menos inspirado –de hecho, muchos artistas cubanos no saldrían de la isla por nada del mundo. Bulgákov no es de la misma especie que Turguéniev, quien escribía sobre Rusia desde Europa oriental. Es más de la de Dostoievski, quien odia a este último por su salida del país y defiende al pueblo ruso contra viento y marea –y contra él mismo a veces–, a pesar de sus desbordamientos, sus defectos y la amenaza que advertía en una revolución por venir, previéndola casi treinta años antes de 1917, sintiéndose incapaz de estar en otro lugar que Rusia para hablar de Rusia.
Irse o quedarse, esa cuestión se plantea hoy a cada artista cubano, y parece de una pertinencia rara el traerla aquí y ahora, con esta obra, estos actores. Con Cartas de amor a Stalin, Abel González Melo nos recuerda que, antes de todo, el papel de un director es hacer vibrar un texto más allá de lo que el autor hubiera podido imaginar.
F.