Au cœur de la Touraine, parmi les grands noms que sont Chenonceau, Azay-le-Rideau, Villandry ou Langeais, se distingue le Château du Clos Lucé. A quelques mètres du château d’Amboise, la demeure, quoique modeste, attire par les personnalités qu’elle a abritées, et tout particulièrement, Léonard de Vinci. Le génie italien a en effet passé les trois dernières années de sa vie en ces lieux, et leur a imprimé sa marque. Du cadre de vie de l’homme, avant tout humain, à la mise en valeur de ses œuvres et de ses inventions, la visite s’organise suivant un parcours qui suscite l’émerveillement.
Derrière les hauts murs qui protègent sa vue de la rue, se cache le Clos Lucé, mais aussi un immense parc, qu’il nous est proposé de parcourir à la suite de la maison, dans sa continuité. Du haut de la galerie par où commence le trajet balisé des visiteurs, on en apprécie encore un peu plus l’immensité, avant de découvrir, en préambule, la chambre de Léonard de Vinci. Une chambre que l’on pourrait traverser sans se douter que l’homme y a dormi et vécu, avant d’y mourir. Le mobilier renaissance parfaitement restauré laisse encore peu de place à l’imagination – mis à part le tableau d’Ingres, à côté du lit, qui représente le peintre mourant dans les bras de François Ier, qui l’a invité à la cour de France trois ans auparavant en tant que « premier peintre, architecte et ingénieur du Roi », en retour d’une pension conséquente et du droit de converser avec lui à sa guise.
Mais le lieu prime encore sur celui qui lui donne son aura. La pièce suivante donne en effet à voir la chambre de Marguerite de Navarre, sœur du roi qui a passé avec lui une partie de sa jeunesse au Clos Lucé. Sa présence s’impose au sol par son chiffre – deux M embrassés –, et pour le reste, le mobilier ne raconte encore que peu de choses. Il faut alors se souvenir du rôle important qu’a eu Marguerite de Navarre pour la littérature, en tant qu’auteure de l’Héptaméron – son recueil de nouvelles qui reprend le principe de celui de Boccace, probablement écrit en ces lieux – et en tant que protectrice d’artistes tels que Clément Marot ou Ronsard.
L’étage parcouru, il faut descendre et découvrir la chapelle, la salle à manger, les salons et la cuisine. La présence de Vinci, guettée, se manifeste par les phrases qui font passer d’une pièce à l’autre, aphorismes portant sur toutes choses et révélant en l’artiste et le savant un philosophe à la sagesse ancrée dans le quotidien. Vitraux, tapisseries, coffres et autres objets captent la curiosité et permettent encore de patienter avant d’en venir au but de la visite. Par la fenêtre de la salle à manger, le Château d’Amboise, où se trouve alors le roi, relié au Clos Lucé par un souterrain aujourd’hui fermé au public, se découvre parmi les arbres. La dernière pièce à vivre à découvrir est la cuisine, où la cheminée, les ustensiles et les plats rappellent qu’avant d’être un esprit, Léonard est un corps, dont les pratiques sont végétariennes.
Mais enfin arrive la rencontre attendue avec l’inventeur – celle à laquelle avait été réduite la mémoire des lieux, visités quelques années auparavant. Au sous-sol, sont exposées les découvertes de Vinci, ses inventions, étonnantes car elles anticipent de beaucoup celles qui nous semblent récentes. On perçoit d’abord l’importance accordée à l’art de la guerre, aux techniques développées par Vinci pour le combat – des mitraillettes aux ponts amovibles en passant par les chars d’assaut – puis la fascination pour le vol – parachute, hélicoptère, aéroplane… – et le soin apporté à la maîtrise de l’eau – ponts, bateaux, systèmes hydrauliques, bouée de sauvetage… Reste encore la mécanique, avec la première voiture ou le roulement à billes. C’est moins le peintre de la Joconde, de La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne et du Saint Jean-Baptiste – qui ont voyagé avec lui d’Italie, à dos de mulet – qui nous est présenté que l’inventeur insatiable.
Et c’est encore lui que l’on trouve dans le parc du Clos Lucé, parmi les roses Mona Lisa. Les maquettes données à voir et à appréhender par des vidéos au sous-sol prennent forme grandeur nature et se fondent dans le paysage, invitant à la pratique après l’observation. Mais en poussant un peu plus loin, c’est le Vinci que l’on connaît que l’on redécouvre, celui de la Dame à l’hermine, des études de la physionomie et de l’homme de Vitruve. Mais ses œuvres ne sont pas ici exposées derrière une vitrine, entre les murs sobres d’un musée, mais agrandies et suspendues aux arbres du parc. La scénographie qui inverse parfois les toiles, les présente à l’envers, et les reflets de lumière qui les traversent créent des visions qui invitent à la rêverie.
L’enchantement allant crescendo, c’est peut-être pour cela que le souvenir de la première visite était si différent de ce qu’elle est en réalité. Néanmoins, la seconde souligne l’importance de réassocier le nom à la réalité concrète, voire triviale, d’une vie, et à celui de François Ier, dont le rôle fut central dans le développement des arts et de la culture à l’époque. Et la visite du Château d’Amboise s’impose alors d’elle-même – au moins pour découvrir la tombe du maître dans la Chapelle Saint-Hubert.
F.
quelle belle description de ce lieu magique.