« Hauteville House », la maison de Victor Hugo à Guernesey

Charles Hugo dit de la maison de son père à Guernesey qu’elle est un « poème en plusieurs étages ». En exil depuis le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, Victor Hugo trouve enfin dans cette île anglo-normande un refuge, après Bruxelles et Jersey qu’il a été forcé de quitter. Pour se consoler de ses pertes successives et pour reconstituer un foyer qui lui soit propre, il entreprend de décorer sa maison, Hauteville House, jusqu’à la rendre à la mesure de son œuvre, et plus encore de sa personnalité.

Hauteville HouseVictor Hugo a beau être reconnu dès ses trente ans comme une figure centrale du romantisme, comme le chef de file du mouvement, son engagement politique et ses opinions, exprimées haut et fort, en particulier à l’encontre de Napoléon le petit, le condamnent à l’exil. Ce n’est qu’hors de France qu’il devient propriétaire, à Guernesey. Soucieux d’y accueillir au mieux sa famille déracinée qui l’a suivi, il œuvre pour en faire un véritable chez lui grâce aux artisans de la région. Plus encore, son habitation devient une manifestation concrète de son esprit, tout en contrastes, en démesure et en créativité.

Les quatre étages de la maison permettent de retracer de façon dramatisée les différentes facettes de sa vie et de son caractère. Chaque pièce, quasiment laissée en l’état depuis son retour en France en 1870, livre un ou plusieurs aspects de sa personnalité, de ses goûts et de ses opinions. De fait, Hugo ne s’est pas contenté de meubler l’espace : il en a façonné chaque recoin à sa guise, mélangeant les genres et travestissant les objets, véritable créateur comme il le revendique ailleurs dans ses poèmes.

DSC_2397A l’image de ses œuvres, monumentales, les différentes pièces de la maison révèlent un souci aigu du détail. Sols, murs et plafonds sont recouverts de bois, de faïences ou de tapisseries, qui se côtoient de près. Chaque centimètre carré est occupé de façon unique, tout en s’intégrant dans un ensemble hétéroclite, où l’Orient côtoie la France et l’Histoire la fantaisie pure.

Plus encore, Hugo laisse son empreinte partout où il passe, que ce soit sous forme de motifs récurrents – griffons, fleurs ou blasons –, ou à force de devises, de mots ou d’initiales gravés et incrustés. Sa plume passe ainsi du papier aux murs et sa voix résonne dans chaque recoin. Dans les ornements d’une cheminée, il grave les noms de ceux qu’il admire (pêle-mêle, Job, Molière, le Christ, Shakespeare…), sur les murs de sa salle à manger, il exprime ses opinions politiques contre la monarchie et le pape,  ou encore sur les battants des portes de son salon, il salue ses invités d’un discret « Ave ».

La salle à manger dévoile sans pudeur sa mégalomanie avec un immense H en faïence redoublé, qui évoque autant le nom de sa maison, Hauteville House, que lui-même. Dans le dossier d’une chaise, sa devise « Ego Hugo » qui préside à la table commune ne laisse en revanche aucun doute. Loin de la France dont il peut apercevoir les côtes par ses fenêtres par temps clair, Victor Hugo affirme ainsi son indépendance et son statut de prophète.

Après sophoto 1n double salon entre Asie et Europe, sa chambre, au deuxième étage, révèle aussi sa folie des grandeurs. Son goût prononcé pour le bois sculpté est poussé à l’extrême, au point de donner l’impression d’entrer dans un espace sacré. Son immense bureau, avec ses trois chaises qui reproduisent une trinité plus familiale que divine, fait face à l’autre bout de la pièce à un immense lit à colonnes. Entre les deux se trouvent un monumental chandelier lui aussi en bois, véritable arbre de feu ou buisson ardent, et des bancs d’église. Dans cet espace, la pensée de la mort pèse comme le révèlent les détails décoratifs de la pièce, malgré la fervente croyance du poète en la vie après la mort.

En réalité, l’auteur dort mal dans ce sanctuaire et se réfugie plus volontiers au dernier étage de la maison, plus clair et plus humble, ouvert sur l’extérieur. Son bureau face à la mer le place au milieu des éléments lorsqu’il écrit le matin, debout face à son pupitre, inspiré par le paysage autant que par le jardin de Juliette Drouet son amante, sur lequel il a vue. Derrière se trouve une petite pièce dans laquelle il se repose, étonnamment démunie par rapport au reste de la maison.

photo 2A travers elle, Hugo se manifeste ainsi dans ses contradictions, entre poète prophète qui s’adresse au monde et poète père et grand-père qui chuchote avec tendresse à l’oreille de ceux qu’il aime. Son insatiable créativité se manifeste à chaque instant, dans les portes qu’il dessine ou qu’il travestit en table, dans les dossiers de chaises ou les reposes fers à repasser qu’il intègre dans ses boiseries comme motifs ornementaux pour ses fenêtres, ou dans les assiettes qu’il accroche aux murs et aux plafonds pour capter la lumière.

De façon profondément concrète et palpable se livre là son imagination débordante, la profusion qui caractérise ses œuvres, sa mégalomanie mais aussi sa douleur dans l’exil, redoublée par la mort de sa femme et le départ de ses enfants. Géant omniprésent et homme seul en souffrance, Victor Hugo apparaît lui-même comme l’antithèse qui caractérise tout son art à travers ce lieu.

F.

HH - assiettes, salon, vue

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