« Sallinger » de Koltès au Théâtre 71

A l’occasion de la création d’un spectacle à Buenos Aires, Paul Desveaux et Céline Bodis décident de monter avec une troupe d’acteurs argentins la pièce de Bernard-Marie Koltès, Sallinger. Importée jusqu’au Théâtre 71, cette mise en scène prend le texte tel quel et livre ses complexités sans chercher à les élucider. Cette lecture brute, quoique bien défendue par les comédiens, relègue au spectateur le difficile travail d’interprétation de la pièce.

Ce texte, écrit à partir des « impressions de lecture » de l’œuvre de l’auteur américain J.-D. Salinger par des comédiens, tournoie autour d’un mort, le Rouquin. Un fils, un frère et un mari, aimé et admiré de tous, ouvre par son suicide un vide que chacun tente de combler. Sa jeune femme visite son mausolée la nuit, sa mère évoque les souvenirs liés à son enfance, son frère l’invoque à la veille de son départ pour la guerre du Vietnam… Au cours de longs monologues, chacun fait surgir ce fantôme et raconte à travers lui le passé, le présent et l’avenir.

Les différents lieux de New-York que Koltès décrit dans son texte sont mis en contigüité sur la scène. Côté cour, un conteneur de profil avec une paroi translucide pour en révéler l’intérieur – un cercueil – , en fond de scène, un autre conteneur un peu plus grand qui figure le salon de la famille du Rouquin, et côté jardin, une voiture. Le centre du plateau est laissé vierge, espace indéterminé de la parole, celle qui ne s’échange pas entre les personnages mais s’adresse au public sur un mode frontal.

Les éléments de la scène et les lumières qui les structurent ont des couleurs acidulées. Cet univers propret, très lisse, s’il tend à se dégrader, n’évoque pas vraiment le New-York « abstrait, nocturne déconnecté » de Koltès. Les espaces limites que sont un cimetière la nuit et un pont sur une route, avec ce qu’ils évoquent de menaçant, sont ici familiers, presque rassurants.

Cette clarté du lieu et de ceux qui l’occupent, tous mis au même plan, ne fait pas passer le Rouquin pour un fantôme, ou pour une création de l’imaginaire des vivants. Les scènes apposées par Koltès les unes à la suite des autres, comme indépendantes et autonomes, semblent, ainsi transposées sur scène, emmêler les temporalités, confondre passé et présent. Néanmoins, cette dimension formelle est constamment mise à l’épreuve par le texte.

A défaut de créer une atmosphère pesante, la scénographie réussit à faire surgir de belles images, des photos vivantes. Cet effet est en partie dû à une attention toute particulière portée à l’arrière-plan, en particulier au début du spectacle. Les pas délicats d’Anna qui explorent l’espace réduit du salon familial, les larmes de Ma ou les sourires béats d’Al ne sont pas pointés du doigt. Ils viennent plutôt composer une image qui n’a pas le temps d’être mise en place par ailleurs.

L’avant-scène réservée à la parole est habitée quant à elle par les comédiens, qui livrent avec énergie leurs monologues. Si cela manque de cris et d’écorchures pour imprimer la force des mots, ils restent justes et attachants dans leurs costumes sur mesure. La pondération qui règne laisse parfois entrevoir des failles où se révèle leur puissance malheureusement inexploitée. La force de l’instant, indéniable, s’évanouit aussitôt dans le suivant, et le spectacle devient souvenir alors que les premiers applaudissements retentissent à peine.

F.

Pour en savoir plus sur « Sallinger », rendez-vous sur le site du Théâtre 71.

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