« Le Retour » d’Harold Pinter à l’Odéon

Pour sa première mise en scène en tant que directeur de l’Odéon, Luc Bondy a choisi la pièce d’Harold Pinter, Le Retour. Pour marquer le coup, il commande à Philippe Dijan une nouvelle traduction du texte, fait appel à des stars telles qu’Emmanuelle Seigner et Louis Garrel, et investit à proprement parler le plateau avec une scénographie qui voit grand. Ces éléments prometteurs n’assurent malheureusement pas le succès du spectacle, dont la faiblesse réside dans la lecture du texte lui-même.

Pour ce spectacle, les premiers rangs du théâtre à l’italienne ont été condamnés, recouverts par un plateau qui déborde. Le décor seventies qui l’occupe figure un salon, une cuisine, un garage, une salle de bain et un escalier qui monte à l’étage. Cette avancée dans l’espace habituellement réservé au public et le réalisme de la scène semblent accueillir le spectateur, l’inviter à entrer dans ce monde coloré.

Une fois passée l’attraction première, l’attention portée aux bouteilles, cendriers et mégots qui jonchent le sol laisse entrevoir le mode de vie de ceux qui occupent ces lieux. Ceux-ci ne tardent pas à paraître et commencent, avant même de prendre la parole, par ranger et nettoyer, comme s’ils avaient été surpris dans leur intimité, non préparés à recevoir de la visite.

Car c’est bien de cela dont il est question dans la pièce de Pinter : un fils rend visite à sa famille après six ans d’absence. Une nuit, il revient dans la maison où il est né, encore occupée par son père, son oncle et ses deux frères. Dans cet univers masculin, il introduit sa femme, dont ils ignoraient totalement l’existence.

La mise en scène de Bondy a pour défaut majeur d’enfermer d’emblée ses personnages dans leurs névroses et leurs faiblesses, ne leur laissant aucune chance de donner le change. Ce faisant, il échoue à faire croire à une forme de normalité qui est le point de départ du processus de dégradation que met en œuvre Pinter.

Dès le début du spectacle, les pulsions violentes et les tendances perverses auxquelles sont sujets les personnages sont mises en valeur, comme pointées du doigt, dévoilant dès l’abord l’issue du spectacle : l’explosion de ces penchants animaux autour de la personne de Ruth. Cela a pour effet de rendre totalement invraisemblable le retour du fils préféré. Ce qui est davantage révélé – et va à rebours de la dramaturgie de la pièce – ce sont les conditions de son départ six ans plus tôt…

Cette lecture trop déterminée par la fin de l’œuvre substitue à sa dérive une monotonie, littérale, qui exclut toute forme de surprise et finit par ennuyer. Le texte, remarquable par son rythme et ses ruptures de tons, en résulte lissé et appauvri. Le manque de nuances et de perspectives dessert tout particulièrement les personnages de Teddy et Ruth. Finalement, le malaise supposé s’emparer des spectateurs fait au contraire place au rire, détaché et non empathique.

La déception est d’autant plus grande que la musique est bonne, la scénographie efficace, notamment grâce à la figuration du dehors à travers les vitres, et les comédiens tout à fait remarquables. L’accent de Bruno Ganz, le jeu extrêmement touchant de Micha Lescot et la métamorphose de Louis Garrel, Emmanuelle Seigner et Pascal Gregory en inconnus restent savoureux. En définitive, le seul reproche que l’on peut leur adresser est de s’être soumis sans réserve aux directives de Bondy.

F. pour Inferno

Pour en savoir plus sur ce spectacle, rendez-vous sur le site de l’Odéon.

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