« No Exit » ou Huis clos de Sartre à l’ACT de San Francisco

Voyager c’est aussi être curieux de voir ce que peut devenir un texte mondialement connu tel que Huis clos de Sartre. La pièce, rebaptisée « No Exit » pour l’ACT de San Francisco, est l’alliance réussie de l’ingéniosité et de la technologie. Le mélange prend et séduit aussi bien les Américains que les Français sceptiques ou méfiants de prime abord.

Le propre de cette pièce est que Sartre y met à plat toute forme de dramaturgie. Ainsi trois personnages sont enfermés dans une chambre d’hôtel qui n’est rien d’autre qu’un enfer métaphysique. Au fur et à mesure des échanges, entre vivacité et séduction, on découvre ce qui les a conduits dans cet enfer peu traditionnel : il y a donc le déserteur Garcin, l’infanticide Estelle et Inès, l’homosexuelle.

Dans cette pièce au décor minimal, constitué de trois canapés, un bronze et un coupe-papier, ils cherchent à comprendre ce qui les a réunis ici. Contrairement à ce qu’ils auraient pu espérer, le groom qui les a conduits là un à un n’a répondu à leurs questions qu’en les renvoyant à eux-mêmes. Tout reste donc à faire.

 

Kim Collier et Jonathan Young ont décidé de donner à ce personnage, en apparence secondaire, une importance tout à fait originale et juste. Anéantissant toute logique de hiérarchie entre les protagonistes, dans la lignée de Sartre, ils le maintiennent sur la scène tout au long de la pièce. A ce parti-pris s’ajoute celui de doubler la représentation théâtrale d’écrans vidéo.

Cela renvoie immédiatement à la fameuse adaptation de la pièce par Jacqueline Audry en 1954. Elle s’était en effet servie d’un écran comme quatrième mur pour projeter les visions des personnages, faisant par là une effraction au huis clos. Il permettait aussi de montrer le détachement progressif de la réalité qui les habite encore et d’ajouter une dimension psychologique à la pièce.

Ici, rien de tel. Dès le moment de s’asseoir, les familiers de la pièce sont intrigués de découvrir un plateau très ouvert et un décor bien plus riche et bien plus diversifié que celui que Sartre avait prescrit. La fidélité est d’emblée mise en jeu et les questions affluent, escortant le groom qui fait son entrée.

Le voilà qui met en place un décor qui nous semble déjà plus familier, sur la partie droite de la scène. L’originalité est que l’accès visuel à cette pièce ne nous est permis que par l’entremise de rétroprojecteurs, dont l’image apparaît au-dessus du plateau central. On le voit donc circuler librement entre ces deux espaces, installer le bronze et sortir les miroirs. Le passage de la présence physique à l’écran permet au spectateur d’intégrer le brillant mécanisme et de situer les différents espaces.

Effets sonores et lumières froides accompagnent l’entrée, ou plutôt la chute, du premier personnage en enfer, Garcin – rebaptisé Cradeau en version US. Alors qu’il essaie de s’enfuir, il est poussé de force dans la chambre annexe et enfermé après avoir posé les questions traditionnelles des « clients ». Inès et Estelle le suivent de près, chacune leur tour, leur arrivée étant déjà des indices de leur caractère.

Les voilà donc tous trois enfin réunis et enfin enfermés pour de bon. D’autant plus enfermés que nous ne les voyons plus physiquement. Désormais, on a affaire à du théâtre filmé en live : trois écrans cadrent les trois chaises de la chambres qui permettent de définir trois espaces. S’ils passent parfois de l’un à l’autre, c’est pour mieux s’étouffer et s’empoisonner les uns les autres. C’est leur défaillance à rester chacun sur leur chaise sans parler qui les condamne. Quelques changements d’angle nauséeux et des rapprochements déformants finissent de dire le huis clos, poussé à l’extrême.

Qu’en est-il du groom, lui en liberté ? Loin de se faire oublier, on le voit investir l’ensemble de l’espace, des coulisses au balcon, jusqu’aux trois écrans qui surplombent le hall de l’hôtel. En circulant dans tous ces lieux et en transgressant l’illusion théâtrale, il vient montrer l’infinitude de l’enfer. En se contentant de siffloter et de décrocher les cloches de toutes les chambres, il hante l’espace et entoure les spectateurs.

Les rétroprojecteurs créent des jeux d’ombre subtils qui viennent régulièrement rappeler l’uniforme rouge aux esprits captivés par les écrans. Il alimente les scènes de messages, oraux ou écrits, se faisant ainsi un médiateur et soulignant les découvertes existentielles des personnages. La pièce se termine avec la répétition de chaque geste et de chaque parole entre le groom et Cradeau, ce qui l’enferme encore plus sur elle-même et grave le « This is it », ou « Alors voilà », dans les esprits.

L’ensemble est extrêmement dynamique et le public est conquis. Deux regrets simplement : le jeu caricatural d’Estelle, qui tombe parfois dans la farce, et notre faiblesse face à la curiosité d’aller faire un tour sur scène à la fin du spectacle pour voir la disposition des caméras dans la pièce annexe.

Quoiqu’il en soit, la prouesse technique vient servir l’interprétation du texte de façon remarquable et l’on n’a qu’une envie : importer la mise en scène en France et en faire profiter le plus grand nombre.

 

F.

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