« Au Moment de la nuit » d’après Crébillon fils et Jules Renard au Studio des Champs Elysées

Une chambre où trône un lit, un miroir, une fenêtre, un homme et une femme. S’il sort, elle est compromise et s’il reste, elle est prise au piège de sa séduction. C’est ce qu’on appelle un huis clos. Ce scénario, pour le moins simple, est tout droit extrait de l’œuvre de Crébillon fils, auteur du XVIIème siècle : La Nuit et le moment.

Les prénoms ont beau se faire les témoins d’un autre temps, le texte est d’une modernité réjouissante. C’est la raison pour laquelle il n’apparaît pas disharmonieux de vêtir les personnages de façon moderne, quoique sobre. De plus, ils sont encore mieux à leur aise pour naviguer dans les phrases tortueuses de Crébillon.

Il faut un sacré talent pour faire glisser aussi naturellement une telle somme d’imparfaits du subjonctif et des tournures aussi précieuses à notre oreille. Mais Anne Charrier et Nicolas Briançon rendent fluide cette conversation en les incarnant par la voix et le geste. Lui, en particulier, fait des pauses tout à fait brillantes afin de nous laisser mesurer la grandeur du texte.

La parole est bien un acteur central dans cet échange, car c’est elle qui distribue les rôles et détermine les rapports de force. Cidalise croit au « hasard de la conversation », mais Clitandre maîtrise suffisamment bien les ficelles de son discours pour éveiller sa curiosité et son désir.

C’est cette dialectique qui nous est donnée à voir et à entendre, dans la plus grande souplesse de leurs déplacements dans cet espace restreint. Bien qu’un peu tronqué, le texte est admirablement bien mis en valeur, et les jeux du narrateur absent sont perceptibles dans des gestes aussi discrets que signifiants.

Un rideau qui tombe, une musique envoûtante, et cette fois la scène à lieu à la charnière des XIXème et XXème siècles. La langue de Jules Renard est certes différente, mais l’enjeu identique : séduire et attiser le désir, faire passer par les mots autant d’ardeur que dans un contact charnel qui reste en suspens.

Cette fois, ils sont tous deux mariés et n’ont pas de quoi se plaindre de leur conjoint respectif. Mais c’est bien là leur problème : ils n’ont aucun prétexte pour prendre un amant. C’est alors une question d’accord, au sens musical, entre deux parties : qui convainc n’est pas convaincu et se complaît dans le refus de l’autre. S’ils en venaient à faiblir tous deux en même temps, est-ce que ce ne serait pas la fin de leur histoire avant même son début ?

Cette seconde partie ne séduit pas aussi puissamment que la première mais elle confirme le talent subtil des comédiens et montre de façon didactique la continuité des problématiques amoureuses d’une époque à une autre. Au sourire complice se mêle l’émotion de se sentir concerné par l’un ou l’autre rôle : nous sommes comblés.

F.

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