« Ellys et Thanatos » d’André Suarès

Difficile de qualifier l’œuvre posthume de Suarès, Ellys et Thanatos. A première vue, elle s’apparente à une pièce de théâtre, composée de scènes et dénuée d’épisodes narratif. Pour autant le monde créé par la parole est trop important pour être contenu dans le genre théâtral. C’est pourquoi on l’assimile d’avantage à un poème dramatique, conçu d’après le modèle des Danses macabres.

Cette tradition médiévale, et le thème associé de « La Jeune Fille et la Mort », a été reprise par les romantiques, notamment Nerval et Schubert. Suarès s’inscrit dans cette lignée : il incarne la Mort dans un corps de jeune homme séduisant, Thanatos, et en fait l’amant d’Ellys, figure de la jeune fille pure et innocente, mais aussi de la vie et de ses attentes.

Leurs échanges sont une initiation autour de la vie, du mal et de la mort. Aussi grave le ton puisse-t-il paraître, le tout est baigné dans une ambiance de douceur et de poésie mélancolique. Chaque réplique est un poème en soi, qui délivre un sens profond.

La musique, les couleurs et la nature sont autant de ressorts de ce lyrisme envoûtant, tant pour l’oreille que pour les yeux. De même, le paysage maritime et celtique, par son importance à travers les didascalies, est à lui seul un personnage. On reconnaît là les principes du symbolisme qui prône l’art pour l’art et cultive le goût du sophistiqué et du rare.

Pourtant, cet univers ne perd pas toute forme de réalisme car Ellys s’inscrit dans un monde non dépourvu de laideur et subit les menaces de sa marâtre. La jeune fille aspire donc comme son père à s’enfuir, à prendre le large – euphémisme pour la mort.

Ellys trouve en Thanatos le parfait amant pour la guider sur la voie d’une fusion totale avec la nature grâce à  une sensibilité hors du commun. L’issue n’est donc pas surprenante quand, lors d’un puissant duo amoureux, le grand Ange entraîne la jeune fille dans la mort, par un baiser dévorant.

C’est la philosophie immanentiste et la grande poésie de l’œuvre qui en font un charme permanent. De la même façon qu’il est difficile d’appréhender l’œuvre, il est délicat de ne pas en parler sans la simplifier et sans briser le cristal de sa douceur.

F.

Pour vous donner un avant-goût :

« Toute la côte est plein de débris et de lilas qui s’ouvrent. Il y a eu tant de naufrages. Le sable rit sur les marins qui ne sont plus ».

« Le ciel est une mer aussi, mais au calme infini. Les étoiles sont ses lucioles ».

« Ils s’inclinent et s’en vont. Ellys ouvre une haute fenêtre. Le ciel a sa rêveuse couleur d’eau verte ».

« Candide, sois toujours candide : tu n’as que faire de savoir. Tu es si claire et si pure. Abandonne-toi. La lumière reconnaît les siens et les recueille au déclin du jour. Je n’ai jamais trouvé de fleur plus digne que toi de refleurir ».

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