« Sodome et Gomorrhe » de Marcel Proust

Le quatrième tome d’A la recherche du temps perdu est connu pour être le plus sombre. Dès le titre, Sodome et Gomorrhele lecteur est renvoyé à la Bible et par là mis en garde. Le temps des jeunes filles en fleurs est déjà loin derrière lui et le héros découvre des vices qui décuplent sa possessivité d’origine.

Cette fois-ci, l’enchaînement avec Le Côté de Guermantes est très fluide : le narrateur reprend où il s’est arrêté, c’est-à-dire au moment du départ pour une soirée chez la Princesse de Guermantes. Le récit est pourtant interrompu rapidement, alors que notre Œil se voit être le témoin d’une scène de séduction entre le Baron Charlus et Jupien, le giletier.

Alors que la problématique de l’« inversion », ou plus communément de l’homosexualité, a été abordée autour de Mademoiselle de Vinteuil dans Du côté de chez Swann, la voici recentrée et observée de plus près. Le narrateur a grandi entre temps et est en âge de comprendre et d’analyser.

Le roman pose donc d’emblée les fondements théoriques de cette orientation sexuelle et donne du sens à l’ensemble du récit qui suit. Dans un premier temps, donc, c’est la région de Sodome qu’il explore, en suivant pas à pas l’esthète qu’est Charlus. La boucle est bouclée quand il se trouve du côté de Gomorrhe, au moment où il apprend que sa chère Albertine connaît la fameuse Mademoiselle de Vinteuil à la fin du volume.

La découverte des tendances de Charlus provoque une révolution dans le regard de notre jeune homme. Gagnant en omniscience, il redouble d’attention lors des soirées et voit le Baron cacher ses goûts et évoluer sans gêne, malgré les doutes qui pèsent sur lui.

L’initiation du narrateur se poursuit dans ces cercles mondains, bien qu’elle ne soit plus centrale. Ainsi, dans « Les intermittences du cœur », lorsqu’il retourne à Balbec pour la seconde fois, et retrouve Albertine, il cherche moins à se faire accepter des plus grands qu’à s’étonner des nombreux invertis qu’il voit maintenant fleurir de partout.

Pour l’être passionné et torturé qu’il est, c’est une nouvelle raison de s’inquiéter de la fidélité de son amie et l’occasion de lui faire de nouveaux reproches. Il se trouve donc dans la nécessité de multiplier les raisons pour qu’elle reste auprès de lui et de l’éloigner aussi bien de Saint-Loup que d’Andrée.

Par ailleurs, si le tome permet d’approfondir des thématiques déjà rencontrées, comme la curiosité pour les noms de lieu ou les considérations sur la médecine et les domestiques, il marque aussi un tournant dans l’écriture. La narration laisse peu à peu place à l’analyse, à la théorisation et à la créativité. La voix de l’auteur adulte se fait plus entendre, et le temps de la rédaction se distingue du temps du récit.

L’exemple le plus évident ouvre Sodome et Gomorrhe : le narrateur, devenu auteur, considère la position des homosexuels dans la société et y voit le même rejet que pour les Juifs lors de l’affaire Dreyfus. Il va jusqu’à s’interroger sur une genèse de l’homosexualité dès l’enfance et dans le rapport à la mère. A ce stade, la narration est clairement mise entre parenthèse avant de reprendre son cours.

Les prémices des théories esthétiques réunies dans Le Temps retrouvé sont donc là. Il reste encore deux tomes avant cela, dans lesquels les intrigues propres à la narration seront résolues – du moins, telles sont les attentes du lecteur !

F.

Ici, des photos de Cabourg-Balbec et de La Raspelière !

Related Posts

None found