« De Profundis » d’Oscar Wilde au Lucernaire

De manière générale, les pièces jouées au Lucernaire sont intimes. Mais fin juillet et pour un texte qui n’a pas forcément énormément de retentissement auprès du grand public, autant dire que c’est une représentation en petit comité. Ainsi, Jean-Paul Audrain, seul sur scène, a le temps de laisser peser son regard sur chacun d’entre nous.

Lorsque les quelques élus interpelés par De Profundis entrent dans la salle, l’éclairage est déjà faible et un bruit de fond invite à la mise en condition. Sur scène, une couverture informe et rouge est perchée au haut d’un escabeau. A peine installés, et la lumière se concentre dessus dans une ambiance sinistre. Le temps de se poser la question et voilà le comédien qui se découvre.

Le tout premier mot, lâché, répété, réarticulé annonce la couleur : « Cher… cher… cher… Bosie ». Il s’agit donc d’une lettre. Du moins c’est le support adopté à l’origine. Mais le chevrotement de la voix, la surprise de s’entendre parler, montrent déjà qu’il s’agit d’un discours mûri pendant presque deux ans, dans le silence.

Ce cri, retentissant dans le vide de la prison, est celui d’un auteur bafoué, accusé par le père de son amant pour ses « mœurs ». Dans un premier temps, il revient donc sur les machinations contraires qui ont fait de lui une victime, quand le cher Bosie souhaitait se venger de son père. Ici, les faits sont très contextualisés mais ils montrent bien ce besoin viscéral de comprendre.

Peu à peu, le discours dérive, s’éloigne de son destinataire, et se fait le miroir de son auteur. Il peint la tragédie de sa situation, et y discerne toute l’ironie. Car oui, l’ironie est immense. L’homme que l’on voit en vêtement de coutil, qui se cogne aux parois de sa prison, n’est autre que le véritable Oscar Wilde. Le dandy et dramaturge se dévoile sous un angle tout nouveau dans cette détresse.

Bien que le spectateur sache de qui il s’agit, il doit faire un réel effort pour rapprocher l’idée qu’il a de l’auteur, de ce personnage. L’écart se réduit au fur et à mesure, jusqu’à disparaître quand le comédien replie avec un soin extrême sa couverture rouge, sa calotte de prisonnier et son mouchoir rouge. Peut-être le metteur en scène, Grégoire Couette, a-t-il voulu rappeler par là sa coquetterie et son raffinement.

La fierté du personnage a fait place à une grande humilité, et son discours a perdu ses ornements pour prendre des atours plus bruts. Aussi, la parole se fait-elle libératrice, elle soulage la conscience et réussit à dissiper les murs de sa cellule, réduits à du sable. La haine et l’amour, la douleur et l’âme, sont des mots qui prennent de la grandeur et du sens dans la bouche de ce Wilde, inconnu.

Cette longue lettre a finalement pris la forme d’un exutoire, dans lequel il est question d’amitié, de souffrance, de la société, des conditions d’incarcération et de réinsertion, et d’humanité. L’auteur veut à la fois s’expliquer, chercher du sens et en donner, partager ses réflexions, se faire entendre, et surtout, libérer son esprit de ces pensées qu’il a gardées trop longtemps en lui.

F.

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