« Est-ce que le monde sait qu’il me parle ? » par la Compagnie Ktha

Spectacle pour un container, deux acteurs, un vidéo projecteur et 100 poupées.


Une accroche pour le moins intrigante pour un spectacle tout aussi étonnant !
Qui pensait un jour passer la soirée dans un container, et en plus pour y voir un spectacle ? Pas moi, en tout cas. Il a fallu un concours de circonstances et quelques sollicitations pour me convaincre de m’y rendre.

Dubitative mais aussi intriguée, je m’installe donc dans le container placé boulevard de Charonne au Nord de Paris par la compagnie Ktha. La moitié est occupée par les spectateurs, peu nombreux mais prêts à s’entasser, ivres de curiosité.

Entrent un homme et une femme, à la combinaison identique. Ils ne sont pas franchement bavards, et ne s’étonnent pas du désordre qui se passe au-dessus de nos têtes. Suivant les codes du théâtre classique, les premières minutes sont consacrées à la captatio benevolentiae : ils fixent leur regard sur chacun des spectateurs tour à tour, provoquant un certain malaise et mettant en place un dialogue qui sera présent tout au long du spectacle.

Soudain, la parole émerge doucement, avec ce qui sera un refrain. Droit dans les yeux, en écho ou en alternance, les deux comédiens s’étonnent de toutes ces phrases qu’ils entendent ou lisent toute la journée : « Ils me disent ‘Cher client’, ils me disent ‘tapez 1’, ils me disent ‘merci de tenir votre chien en laisse’… ».

Ces phrases qui ponctuent, voire saturent notre quotidien, sont prononcées, redécouvertes, scandées et interrogées : « Est-ce qu’ils te disent la même chose qu’à moi ? ». Aux slogans s’ajoutent les musiques, les gestes, les sigles. Tout un monde codifié que l’on ne prend plus la peine de décortiquer.

Ces deux êtres, à la fois enfants étonnés et adultes révoltés, nous sollicitent et nous font appel. Tout en communion, ils récitent ce que Big Brother dit et tentent de comprendre le message. Le banal est remis en cause, ainsi que l’individualité.

Qu’est-que la communication d’aujourd’hui fait de nous ? Des poupées blanches qui tombent du haut du container, plus ou moins grandes selon l’importance. La première est surprenante, mais lorsqu’elles remplissent bientôt un tiers du container, on ne les voit déjà presque plus. Leur taille est à la mesure des discours reçus.

Tout y passe, de la publicité aux messages politiques, des proverbes aux formules administratives, de la télé aux journaux. On apprend à connaître ce qui les affecte et nos réactions en disent beaucoup sur ces références malheureusement partagées.

Dans ce rapport de promiscuité presque étouffante, le container prend son sens quand les images défilent sur les parois et secouent encore plus nos esprits pollués. Tout est bon pour communiquer, mais finalement rien ne vaut la parole.

C’est une vraie parenthèse, un moment de réflexion hors du temps et quand la réalité réapparaît au moment où s’ouvrent les portes du container, on se sent renforcés contre ces messages.
F.

« …Ils me disent enjoy
Ils me disent nous c’est le goût et vous ne viendrez plus chez nous par hasard
Ils me disent que la vie est belle et qu’elle est vraie
Ils me demandent de tenir mon enfant et de garder mon chien dans son panier
Je n’ai pas de chien
Tu as un chien, toi?
Il rentre dans un panier?
Ils me disent qu’il faut manger quatre fruits et légumes par jour
Ou cinq, je ne sais plus
Ils me disent d’une voix de femme
Ils me disent épilation antiride exfoliant
bien être
rajeunissant
Ils me disent votre attention s’il vous plaît
Ils me disent cher ami, cher client, mes très chers concitoyens
Ils me disent nous
Ils me disent bonne journée à demain merci
ne quittez pas
Ils me disent and the winner is
Ils me disent que du bonheur … »

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