Catégorie : Spectacles

« Nageuse de l’extrême » d’Élise Vigier au Théâtre du Train bleu – endurance des corps

Le Théâtre du Train bleu programme dans le Off d’Avignon un spectacle d’Élise Vigier créé en septembre dernier à Théâtre Ouvert : Nageuse de l’extrême. Pour le découvrir, le public est déplacé hors des remparts, jusqu’aux bureaux de la MAIF. Le lieu est inattendu et semble peu apte à accueillir une représentation, mais il apparaît finalement qu’il convient tout particulièrement aux récits de mises à l’épreuve du corps, par la maladie et le sport.
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« Le Canard sauvage » d’Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier à l’Opéra Grand Avignon – archive pour l’histoire du théâtre contemporain

Avignon 2025, Thomas Ostermeier est programmé avec Le Canard sauvage d’Ibsen à l’Opéra Grand Avignon. Avant la découverte du spectacle, cette information fait tomber dans une faille spatio-temporelle : on se croit revenus en 2012, lorsque sous la direction d’Archambault et Baudriller il présentait Un ennemi du peuple d’Ibsen au même endroit. Quatre ans après son tout aussi mémorable Hamlet, le directeur de la Schaubhüne proposait alors une manière tout à fait fascinante de faire du théâtre contemporain avec des œuvres classiques. Entre temps, Ostermeier a été réinvité plusieurs fois – notamment avec Les Revenants d’Ibsen, en 2013 –, et on a pu prendre connaissance de certains de ses précédents spectacles – notamment Nora (2002), Maison de poupée (2004) ou Hedda Gabler (2007) d’Ibsen. Bref, on connaît le couple Ostermeier/Ibsen qui a souvent fait ses preuves. Il paraît cependant complètement anachronique de le reformer pour cette édition 2025, alors qu’on attend du Festival de découvrir de nouveau artistes et des gestes d’avant-garde qui nous déplacent et reconfigurent l’art théâtral. En amont, on émet donc quelques réticences au sujet de ce spectacle, anticipant le plaisir qu’on pourrait prendre à démontrer à quel point l’entreprise est dépassée. Mais il faut être honnête et admettre et reconnaître les qualités du spectacle, même s’il ne révolutionne pas l’histoire des mises en scène d’Ibsen, et moins encore le paysage théâtral contemporain.
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« Prélude de Pan » de Clara Hédouin dans la Plaine de l’Abbaye – culture diversifiée dans le champ théâtral

Avignon 2023, Clara Hédouin était programmée avec Que ma joie demeure, spectacle déambulatoire inspiré par l’œuvre de Jean Giono. Avignon 2025, Clara Hédouin est programmée avec Prélude de Pan, spectacle déambulatoire inspiré de l’œuvre de Jean Giono. La redondance est symptomatique de cette programmation, moins soucieuse de promouvoir des créations d’artistes inconnus que de recycler des artistes bien en place dans le paysage contemporain, voire dans l’histoire du théâtre contemporain (Ostermeier, Marthaler, Anne Teresa de Keersmaeker, Milo Rau…). Ce spectacle créé en 2021 (qui confirme l’impression que Tiago Rodrigues a totalement renoncé à l’idée de ne présenter que des créations) est issue de la forme longue qu’était Que ma joie demeure. C’est une sorte de bouture qui présente de nombreuses similitudes avec la plante mère, mais qui s’est développée jusqu’à devenir autonome et prendre la forme d’un plaidoyer pour la culture de diversification, jusque dans sa forme même.
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« Ophelia’s Got Talent » de Florentina Holzinger à la Villette – regard funambule sur performances aquatiques

En attendant le Festival d’Avignon, la saison s’achève à la Villette avec Ophelia’s Got Talent, spectacle de la chorégraphe autrichienne Florentina Holzinger créé en 2022 à la Volksbhüne. L’œuvre est aussitôt entrée au répertoire de l’institution berlinoise à laquelle l’artiste est associée, et a déjà connu une tournée importante en Europe avant de nous parvenir. Les repères sont cependant un peu brouillés par la catégorisation en « danse » du spectacle, qui semble plutôt relever de la performance et qui est « aussi du théâtre » comme le reconnaît Florentina Holzinger. Dans tous les cas, une dramaturgie soignée immerge dans une réflexion sur la représentation du corps féminin à travers le motif de l’eau, élément convoqué grâce à de nombreuses figures artistiques et exploré par des actions spectaculaires sur scène.
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« Daddy » de Marion Siéfert à la Villette – métavers théâtral

Séance de rattrapage au Théâtre de la Villette pour Daddy de Marion Siéfert, spectacle créé il y a deux ans à Angers, passé ensuite par l’Odéon avant une grande tournée dans toute la France. Après _jeanne_dark_, conçu à partir de l’application Instagram, et même exclusivement diffusé sur le réseau social au temps des confinements, l’artiste met à nouveau le théâtre à l’épreuve de nouvelles technologies – mais cette fois sans recours à des moyens technologiques. Pour représenter l’univers des jeux vidéo et des métavers, qui paraissent aux antipodes de son art, elle prend le parti de l’artisanat théâtral. Cette prouesse est mise au service d’un récit illustrant une forme d’emprise sur les jeunes femmes caractéristique de notre époque, par avatars interposés.
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« Des yeux sur moi » d’après Howard Barker, mis en scène par Lucile Rose au CNSAD – le désir comme arme, jouissance et terreur

Il y a des « Ateliers d’élèves » programmés au Conservatoire qui sont en réalité des gestes artistiques déjà affirmés et puissants. C’est le cas de celui dirigé par Lucile Rose, elle-même élève de l’institution, qui après avoir collaboré à la dramaturgie de Sans tambour de Samuel Achache, et après avoir joué sous la direction de Julien Gosselin pour Musée Duras repris la saison prochaine, s’essaie à la mise en scène. Son choix s’est porté sur trois textes d’un auteur britannique mal connu, car peu mis en scène : Howard Barker. Il s’agit de Gertrude (le Cri), Elle a 80 ans, toujours si tellement – qui donne son magnifique nom à la compagnie tout juste créée – et Graves épouses, animaux frivoles. Ce matériau foisonnant donne lieu à un spectacle aussi intense que dérangeant, qui mobilise l’émotion et l’intellect tout en laissant interdit. 
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« Absalon, Absalon ! » de Séverine Chavrier au Théâtre de l’Odéon – Faulkner samplé

Plusieurs mois après sa création à Avignon, et après quelques dates en début d’année à la Comédie de Genève que la metteuse en scène dirige, Absalon, Absalon ! est repris à l’Odéon pour une longue série. Séverine Chavrier mobilise une grande distribution et des moyens techniques conséquents pendant cinq heures de spectacle pour adapter le roman du même titre de William Faulkner, de plus de 400 pages. Après s’être intéressée à l’écriture de Thomas Bernhard dans deux spectacles, dont une adaptation de La Plâtrière, elle revient à l’auteur américain qu’elle a côtoyé dix ans plus tôt pour Les Palmiers sauvages. Ce parcours confirme son attirance pour les écritures qui défient la scène, écriture qu’il s’agit moins de transposer que de traduire dans un langage scénique hybride. De cette façon, Chavrier met le public au contact non de la langue de Faulkner, ni non plus directement de l’histoire que contient l’œuvre de manière enfouie, mais de ce qui relève plutôt de l’expérience singulière de sa lecture, faite de résistance et de fascination.
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« Makbeth » du Munstrum Théâtre à la Comédie de Reims – cauchemar horrifique

La grande salle de la Comédie de Reims est comble jusqu’au deuxième balcon pour Makbeth du Munstrum Théâtre, une compagnie à l’esthétique extrêmement singulière entre autres caractérisée par des ambiances crépusculaires et par l’usage de masques et de prothèses qui déforment les corps humains. Après des textes de Copi et de Mayenburg, Louis Arene et Lionel Lingelser, à la tête du Munstrum, s’attaquent cette fois à une tragédie de Shakespeare, la plus sombre. Mais ils annoncent d’emblée une adaptation en remplaçant le « c » par un « k » et en indiquant « d’après ». Ces indices congédient la lettre du texte, mais aussi un geste de mise en scène qui serait fondé sur une dramaturgie chargée de déplier les strates de l’œuvre pour en offrir une relecture. Le Munstrum livre une interprétation visuelle et plastique de la pièce, qui donne naissance à des images aussi spectaculaires que cauchemardesques.
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« Les Forces vives » de Camille Dagen à la Comédie de Reims – Simone de Beauvoir, matière à penser, matière à jouer

Un an après sa création au Maillon, à Strasbourg, et après un passage au Festival d’Automne à Paris, Les Forces vives de la compagnie Animal Architecte est accueilli à l’Atelier de la Comédie de Reims pour sept dates. Trois heures trente de spectacle avec entracte sont annoncées pour une vasque fresque théâtrale inspirée par Simone de Beauvoir, fondée sur plusieurs de ses écrits : Le Deuxième Sexe, Cahiers de jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses. Le matériau de départ est si vaste qu’il impose d’inventer une forme capable de rendre compte de toutes ces lectures et de la vie qu’elles s’efforcent de saisir. Le résultat est un spectacle d’une grande intelligence, dramaturgique mais aussi théâtrale, qui en apprend autant sur Beauvoir et sur l’époque qu’elle a traversée que sur les moyens qu’a la scène de raconter.
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« Antoine et Cléopâtre » de Tiago Rodrigues à la Bastille – chœur des amants mythiques

Séance de rattrapage pour les retardataires : plus dix ans après sa création, Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues est repris au Théâtre de la Bastille, après être passé par le Festival d’Avignon en 2015, le Festival d’Automne l’année suivante, et quantités de lieux qui l’ont programmé régulièrement jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de l’un des premiers spectacles invité en France de l’actuel directeur du Festival d’Avignon, spectacle qui a contribué à le faire connaître et à introduire la manière si singulière qu’il a de dialoguer avec les œuvres – celles de Shakespeare, Flaubert, Tolstoï ou Tchekhov. Son choix se portait alors sur une tragédie historique, que l’on tend à dissocier du couple mythique qu’elle choisit de raconter. Prenant acte de cette postérité, Rodrigues retient l’imaginaire de la pièce de Shakespeare plutôt que la lettre du texte, sa fable ramenée à son plus simple appareil, et offre à partir d’elle une partition pour un chœur des amants – du titre d’une de ses œuvres ultérieures, qui présente beaucoup de similitude avec celle-là.
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