Catégorie : Spectacles

« La Guerre n’a pas un visage de femme » de Julie Deliquet au TGP – chœur de femmes guerrillères

Après Chloé Dabert à Reims et Aurore Fattier à Caen, c’est au tour de Julie Deliquet d’inaugurer la saison du CDN qu’elle dirige avec une ample création réunissant une dizaine de personnes sur scène. La directrice du TGP de Saint-Denis a jeté son dévolu sur la première et la plus célèbre œuvre de Svetlana Alexievich, prix Nobel 2015 : La Guerre n’a pas un visage de femme. Ce choix s’inscrit dans la continuité de ses précédents spectacles, Huit heures ne font pas un jour d’après Fassbinder, et Welfare d’après Frederick Wisemen, dans lesquels elle explorait la crête escarpée qui sépare ou unit fiction et documentaire. À partir des témoignages poignants de femmes récoltés par l’autrice biélorusse, elle recrée neuf personnages chargés de raconter la guerre qui a opposé les Allemands aux soviétiques entre 41 et 45, formant un chœur qui donne corps à la polyphonie de l’œuvre.
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« Recommencer ce monde » de Jérôme Bel, Estelle Zhong Mengual et Jolente de Keersmaeker à la Comédie de Caen – pister les présences invisibles

Dans le cadre d’une vaste programmation intitulée « Recommencer ? Manifestation pour le vivant ! », qui réunit des spectacles, des films, des conférences ou encore des marches, Jérôme Bel, artiste associé à la Comédie de Caen, présente sa dernière création, Recommencer ce monde, cosignée avec Estelle Zhong Mengual, historienne de l’art elle aussi associée au CDN, et l’actrice flamande Jolente de Keersmaeker. Tous trois élaborent une proposition minimale à partir de textes philosophiques de Baptiste Morizot et Val Plumwood, dont l’ambition est pourtant immense comme le redit le descriptif du spectacle, après le titre. L’écart entretenu fonctionne – jusqu’à un certain point.
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« Pour un temps sois peu » de Laurène Marx à l’Espace 1789 – parcours du combattant d’une femme trans (et neuroatypique)

Trois ans après sa création au Théâtre de Belleville, après une polémique qui a avorté une première version du spectacle dans laquelle le texte était pris en charge par une actrice cisgenre, Pour un temps sois peu, spectacle qui a révélé Laurène Marx et lui a immédiatement octroyé une place dans le paysage théâtral contemporain, est symptomatiquement repris dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Pour la 150e représentation, l’Espace 1789 est plein à craquer, d’un public en grande partie acquis, ou du moins heureux de s’inscrire à cette session de rattrapage. Le trouble créé par ce spectacle, qui a beaucoup été commenté entre temps, est sans doute d’une nature un peu différente aujourd’hui, mais il y a bien trouble - dans le genre et dans le champ neuroatypique.
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« Le Dindon » de Georges Feydeau, mis en scène par Aurore Fattier à la Comédie de Caen – le parti de la farce

La nouvelle saison est inaugurée à la Comédie de Caen avec Le Dindon, première création d’Aurore Fattier en tant que directrice de ce CDN. À cette occasion, l’artiste revient à un auteur qu’elle a déjà côtoyé et avec lequel elle a même inauguré son geste de mise en scène : Georges Feydeau. Sans que l’on cerne bien sous quel signe elle place son mandat avec ce choix – celui de la relecture subversive des classiques ou celui du divertissement, ou peut-être les deux –, ce spectacle n’en propose pas moins une fête du théâtre, grâce à une équipe de personnalités riches en couleur qui parvient à faire rire à partir d’un matériau désigné comme profondément anachronique.
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« Marie Stuart » de Schiller, mis en scène par Chloé Dabert à la Comédie de Reims – optique de pointe pour une œuvre de 1800

Après plusieurs spectacles qui ont permis de découvrir et explorer des écritures britanniques contemporaines – de Denis Kelly ou Lucy Kirkwood – Chloé Dabert revient à une œuvre classique pour la première fois depuis son Iphigénie, en 2018. Son choix s’est porté sur Marie Stuart de Schiller, et il apparaît d’emblée que cette pièce lui va bien. Sa mécanique raffinée mise au service de l’affrontement de deux reines, l’intrication étroite de questions personnelles, religieuses et politiques dans des répliques denses et ciselées ou encore la nécessité d’une ample distribution – ce sont là des défis que le geste artistique de Chloé Dabert paraît en mesure de relever, sur le papier. Le résultat est une mise en scène d'une précision redoutable qui confirme pleinement cette intuition première.
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« Chevaleresses » de Nolwenn Le Doth au Théâtre des Carmes – les yeux grand grand ouverts

Il faut le bouche-à-oreille d’Avignon et la convergence unanime de plusieurs avis pour convaincre d’aller voir un seul-en-scène autobiographique qui aborde un thème grave – l’inceste – dès 10 heures du matin au Théâtre des Carmes. Il peut arriver qu’une telle démarche donne l’impression de prendre en otage en convoquant uniquement le sentiment et en congédiant tout appréciation d’ordre esthétique. Il paraîtrait que ce n’est pas le cas de Chevaleresses, de la compagnie Francine et Joséphine, que le consensus ne repose pas uniquement sur le silence que brise Nolwenn Le Doth à partir de sa propre histoire. Qu’il y a bien un geste d’ordre artistique qui explique que tout le monde s’accorde à dire que le spectacle est à voir. Le bouche-à-oreille, qui parfois entraîne des déceptions à force de gonfler les attentes, s’avère d’une justesse renversante : il est absolument nécessaire de poursuivre le mouvement dont il entoure ce spectacle, magnifique et bouleversant.
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« MAMI » de Mario Banushi au Gymnase du Lycée Aubanel – une étreinte

Enfin un nom inconnu dans la programmation du Festival d’Avignon, et avec lui la promesse d’une découverte : il s’agit de celui de Mario Banushi, artiste de 26 ans qui a grandi entre l’Albanie et la Grèce. Ce dernier pays a reconnu la qualité de son travail déjà, de son premier court-métrage et de ses deux précédents spectacles. Avignon contribue à cette notoriété grandissante en programmant MAMI, créé en février dernier, qui sera repris au Théâtre de l’Odéon la saison prochaine, ainsi que Goodbye, Lindita, qui date de 2023. MAMI découvre un geste artistique extrêmement délicat et un langage scénique et plastique singulier. Cette composition sans paroles autour de la figure de la mère plonge dans une rêverie dense, qui a la douceur et la puissance d’une étreinte.
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« La Lente et Difficile Agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal » d’Anne-Sophie Pauchet au Théâtre du Train bleu – le réel caricature de lui-même

Le Théâtre du Train bleu programme cette année dans le off d’Avignon ce qui était une petite forme au départ et qui s’est épanoui jusqu’à devenir un spectacle, pris d’assaut dès le début du festival : La Lente et Difficile Agonie du crapaud buffle sur le socle patriarcal. Derrière ce titre à rallonge déjà comique se cache la reperformance d’un épisode de l’émission radiophonique Répliques, diffusée par France Culture et animée depuis 1985 (!...) par Alain Finkierkrault. Le 4 décembre 2021, l’écrivain et polémiste recevait notamment Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe. La compagnie Akté, sous la houlette d’Anne-Sophie Pauchet, donne corps à ce débat et transforme un pan de réel pathétique en une comédie grotesque désopilante.
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« L’Événement » de Joëlle Fontanaz à la Manufacture – aiguiser l’écoute par l’épreuve de la cacophonie

La rumeur qui accompagne le Off d’Avignon a pris la forme d’un consensus autour de L’Événement, spectacle programmé à la Manufacture et porté par la sélection Suisse en Avignon. Il est mis en scène par Joëlle Fontanaz, également actrice et membre du trio qui forme sur scène un chœur chargé de raconter… un événement. Plus encore que le fait rapporté, ce qui intéresse dans cette proposition est la prouesse actorale qu’elle engage, prouesse qui tarde à révéler sa pleine amplitude mais qui finit par embraser.
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« Le Sommet » de Christophe Marthaler à la FabricA – expédition en absurdie

Une certaine nostalgie des années 2010 semble s’exprimer au travers de la programmation du Festival d’Avignon : Ostermeier, Anne Teresa de Keersmaeker, Christoph Marthaler… Après dix ans d’absence, ce dernier est réinvité à la FabricA avec Le Sommet, créé il y a quelques semaines au Piccolo Teatro de Milan. Ce spectacle est né de la collaboration de trois pays coproducteurs – la Suisse, l’Italie et la France – et réunit des acteurs et actrices de différentes nationalités qui parlent le français, l’italien, l’allemand, l’autrichien et l’anglais. Le groupe constitué offre l’image d’une vieille Europe réfugiée au sommet d’une montage, et semble désigner sur un mode tendre et comique la désuétude de cette union dont les idéaux sont chaque jour mis à l’épreuve par l’actualité.
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