Catégorie : Spectacles

« Absalon, Absalon ! » de Séverine Chavrier au Théâtre de l’Odéon – Faulkner samplé

Plusieurs mois après sa création à Avignon, et après quelques dates en début d’année à la Comédie de Genève que la metteuse en scène dirige, Absalon, Absalon ! est repris à l’Odéon pour une longue série. Séverine Chavrier mobilise une grande distribution et des moyens techniques conséquents pendant cinq heures de spectacle pour adapter le roman du même titre de William Faulkner, de plus de 400 pages. Après s’être intéressée à l’écriture de Thomas Bernhard dans deux spectacles, dont une adaptation de La Plâtrière, elle revient à l’auteur américain qu’elle a côtoyé dix ans plus tôt pour Les Palmiers sauvages. Ce parcours confirme son attirance pour les écritures qui défient la scène, écriture qu’il s’agit moins de transposer que de traduire dans un langage scénique hybride. De cette façon, Chavrier met le public au contact non de la langue de Faulkner, ni non plus directement de l’histoire que contient l’œuvre de manière enfouie, mais de ce qui relève plutôt de l’expérience singulière de sa lecture, faite de résistance et de fascination.
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« Makbeth » du Munstrum Théâtre à la Comédie de Reims – cauchemar horrifique

La grande salle de la Comédie de Reims est comble jusqu’au deuxième balcon pour Makbeth du Munstrum Théâtre, une compagnie à l’esthétique extrêmement singulière entre autres caractérisée par des ambiances crépusculaires et par l’usage de masques et de prothèses qui déforment les corps humains. Après des textes de Copi et de Mayenburg, Louis Arene et Lionel Lingelser, à la tête du Munstrum, s’attaquent cette fois à une tragédie de Shakespeare, la plus sombre. Mais ils annoncent d’emblée une adaptation en remplaçant le « c » par un « k » et en indiquant « d’après ». Ces indices congédient la lettre du texte, mais aussi un geste de mise en scène qui serait fondé sur une dramaturgie chargée de déplier les strates de l’œuvre pour en offrir une relecture. Le Munstrum livre une interprétation visuelle et plastique de la pièce, qui donne naissance à des images aussi spectaculaires que cauchemardesques.
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« Les Forces vives » de Camille Dagen à la Comédie de Reims – Simone de Beauvoir, matière à penser, matière à jouer

Un an après sa création au Maillon, à Strasbourg, et après un passage au Festival d’Automne à Paris, Les Forces vives de la compagnie Animal Architecte est accueilli à l’Atelier de la Comédie de Reims pour sept dates. Trois heures trente de spectacle avec entracte sont annoncées pour une vasque fresque théâtrale inspirée par Simone de Beauvoir, fondée sur plusieurs de ses écrits : Le Deuxième Sexe, Cahiers de jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses. Le matériau de départ est si vaste qu’il impose d’inventer une forme capable de rendre compte de toutes ces lectures et de la vie qu’elles s’efforcent de saisir. Le résultat est un spectacle d’une grande intelligence, dramaturgique mais aussi théâtrale, qui en apprend autant sur Beauvoir et sur l’époque qu’elle a traversée que sur les moyens qu’a la scène de raconter.
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« Antoine et Cléopâtre » de Tiago Rodrigues à la Bastille – chœur des amants mythiques

Séance de rattrapage pour les retardataires : plus dix ans après sa création, Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues est repris au Théâtre de la Bastille, après être passé par le Festival d’Avignon en 2015, le Festival d’Automne l’année suivante, et quantités de lieux qui l’ont programmé régulièrement jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de l’un des premiers spectacles invité en France de l’actuel directeur du Festival d’Avignon, spectacle qui a contribué à le faire connaître et à introduire la manière si singulière qu’il a de dialoguer avec les œuvres – celles de Shakespeare, Flaubert, Tolstoï ou Tchekhov. Son choix se portait alors sur une tragédie historique, que l’on tend à dissocier du couple mythique qu’elle choisit de raconter. Prenant acte de cette postérité, Rodrigues retient l’imaginaire de la pièce de Shakespeare plutôt que la lettre du texte, sa fable ramenée à son plus simple appareil, et offre à partir d’elle une partition pour un chœur des amants – du titre d’une de ses œuvres ultérieures, qui présente beaucoup de similitude avec celle-là.
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« Histoire d’un Cid » de Jean Bellorini à la Comédie de Reims – apprivoiser la langue étrangère de Corneille par le jeu

La Comédie de Reims accueille la tournée du dernier spectacle de Jean Bellorini, Histoire d’un Cid, créé l’été dernier au Château de Grignan. Le public scolaire est présent au rendez-vous de cette « variation d’après la pièce de Corneille », qui reconduit le projet de Bellorini de donner accès aux grandes œuvres du patrimoine au plus grand nombre – celles de Victor Hugo, de Dostoïevski ou de Proust précédemment. L’artiste s’inscrit dans une tradition plus vilarienne que jamais avec le choix de cette œuvre, après le mémorable Cid présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon en 1951, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre. Mais depuis cette époque, où Vilar réussissait à faire entendre la tragi-comédie de Corneille à près de 280 000 personnes sans en modifier les vers, il semble que nos oreilles soient devenues sourdes à l’alexandrin, et qu’il faille les adapter, les raconter, les commenter. C’est ce à quoi s’attelle Bellorini avec facétie, qui multiplie les approches du texte pour essayer de retrouver un contact avec lui.
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« Fusées » de Jeanne Candel au T2G – vanité de la conquête spatiale

Dans le cadre du Festival jeune et très jeune public de la ville de Gennevilliers, Jeanne Candel et sa compagnie la vie brève présentent au T2G Fusées, spectacle créé en septembre dernier au Théâtre de l’Aquarium que l’artiste dirige. Pour la première fois, Jeanne Candel, qui explore depuis des années les possibilités du dialogue entre théâtre et musique, élargit son public pour atteindre les plus de six ans. Avec des moyens de fortune, le spectacle fait voyager aux confins de l’espace et interroge la pertinence de la conquête spatiale – question salutaire par les temps qui courent.
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« Palombella Rossa » de Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny à la MC93 – de l’art de se maintenir à flots en eaux troubles

La MC93 accueille un spectacle de Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny actuellement en tournée : Palombella Rossa, d’après le film de Nanni Moretti du même titre. Le metteur en scène, plusieurs fois inspiré par le cinéma, créait en 2003 un spectacle à partir d’écrits du critique Serge Daney. C’était là un point de rencontre avec Nicolas Bouchaud, qui a également porté les textes de Daney dans La Loi du marcheur, mis en scène par Éric Didry en 2010. Cette convergence a conduit à la collaboration des deux hommes pour Palombella Rossa : Bauer choisit de confier à Bouchaud le rôle tenu par Moretti lui-même dans le film, celui d’un joueur de water-polo à la mémoire qui flanche, qui est aussi un député communiste parmi les derniers représentants de son espèce, qui relate l’histoire de son parti et les idéaux qu’il portait sans tout à fait comprendre comment sa pensée a pu devenir aussi marginale. Le spectacle recompose un personnage profondément attachant, à partir duquel est menée de manière délicate et nuancée une réflexion sur la gauche qui retentit salutairement avec notre époque.
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« no words » de Maja Zade, mis en scène par Yana Ross à la Comédie de Reims – sous la superficie, l’abîme

Le Festival FARaway, Festival des arts à Reims, qui réunit plusieurs structurelles de la ville, a pour thème cette année « Traversées en Europe du Nord ». Sont ainsi accueillis à la Cartonnerie, à Césaré, à la Comédie, au FRAC, à Nova Villa, au Manège et à l’Opéra des artistes venant de Norvège, du Danemark, de Suède, d’Islande, d’Estonie, d’Irlande, de Lettonie, du Royaume-Uni et de Lituanie. L’événement permet la création française d’un texte de l’autrice allemande Maja Zade, associée à la Schaubhüne de Berlin, qui a collaboré avec Ostermeier, Ivo van Hove, Katie Mitchell ou Simon McBurney. Son œuvre est mise en scène par l’artiste lituanienne Yanna Ross, qui dirige pour ce spectacle des acteurs et actrices suédois. La metteuse en scène ne se contente pas de proposer une lecture d’un texte bâti comme une machine complexe et fascinante. Elle y superpose un dispositif sophistiqué qui en creuse les lignes de fuite et en explore les possibles, et propose ainsi un spectacle qui produit une impression de vertige face aux abîmes que frôlent nos vies sociales.
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« Diptyque. Nos paysages mineurs & En finir avec leur histoire » de Marc Lainé à la Comédie de Reims – l’art du rattrapage, et du déplacement

La Comédie de Reims n’accueille pas un mais deux spectacles de Marc Lainé, constitués en diptyque : Nos paysages mineurs et En finir avec leur histoire. Le premier volet a été créé en 2021 à la Comédie de Valence que dirige le metteur en scène, et le second il y a un an, au même endroit. Trois ans les séparent donc, ce qui produit une impression de vertige quand on y pense à l’issue du spectacle, car les deux parties paraissent indissociables l’une de l’autre, et la seconde plus profondément nécessaire pour corriger le tir de la première, prendre de front ce qui paraissait inconscient et reconfigurer profondément l’appréciation de l’œuvre.
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« velvet » de Nathalie Béasse à la Commune d’Aubervilliers – derrière le rideau

La nouvelle année commence à la Commune d’Aubervilliers avec un « Pavillon » Nathalie Béasse, intitulé « Notre maison », invitation large qui est l’occasion pour l’artiste de réunir des collègues, d’organiser des rencontres et des workshops, de reprendre une précédente création, Le Bruit des arbres qui tombent et de programmer la dernière en date, velvet. Le public est nombreux au rendez-vous de ce spectacle qui offre une expérience une nouvelle fois difficile à qualifier, faite d’images et d’impressions inédites, qui cette fois brasse toute une mémoire du théâtre en plaçant en son cœur l’un de ses protagonistes les plus emblématiques mais aussi les plus discrets : le rideau.
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