« Georges Braque » au Grand Palais

A l’occasion du cinquantenaire de la mort de Georges Braque, le Grand Palais propose une monographie de son œuvre. Ce peintre du XXe siècle traverse les différents courants artistiques de l’époque, ainsi que ses guerres. A lui seul, Braque offre ainsi un parfait panorama de l’Histoire de l’art, depuis le fauvisme jusqu’au cubisme, avant un retour à un art plus figuratif, marqué par ses évolutions antérieures. Couleur, perspective et formes sont successivement interrogées sur ses toiles, suivant un cheminement artistique et intime passionnant.

Braque - EstaqueL’exposition commence avec de chaudes couleurs réjouissantes. Braque commence sa carrière avec une période fauve au début du XXe siècle. Les couleurs pures et libérées du mouvement sont appliquées à des paysages marseillais, l’Estaque et la Ciotat essentiellement. Une mer verte, une montagne violette et un chemin rouge permettent de prendre de la distance avec le réel et d’accroître l’expressivité de la peinture. Les toiles, toutes lumineuses, varient en fonction du chromatisme qui domine, qui leur donne leur inflexion et leur tonalité, et rend sensible aux saisons.

Déjà, des ciels mouchetés et des blancs laissés dans la toile annoncent l’évolution du peintre vers le cubisme. Les couleurs sont moins lisses, et le trait du pinceau plus sensible. Les courbes souples des arbres ou des corps féminins font place à des lignes droites plus tranchées. Les toits des maisons sont alors mis en contraste avec la nature, irréductible dans son foisonnement et son mouvement. Peu à peu, Braque se détourne des paysages qui l’inspirent et travaille en atelier. Son étude de la perspective, commencée dans les paysages, s’épanouit alors dans des natures mortes.

Braqu - femme à la mandolineAlors que l’impressionnisme avait sorti les peintres et leur chevalet de leur atelier, Braque et Picasso y retournent. Les deux artistes dialoguent énormément à cette époque, dans les années 1910, et leurs œuvres trouvent des points de jonction étonnants. Pour Braque, c’est le début d’une grande série de moins en moins réaliste, dont l’une des constantes est la présence d’un instrument à corde – violon, guitare ou mandore.

Les cordes et les courbes de ces instruments deviennent les derniers éléments identifiables dans ces toiles. La couleur a fait place à des coloris cuivrés, argentés, qui s’ils sont bien plus sobres par rapports à ses premières toiles, restent encore lumineux. Alors que les œuvres de sa première période portaient des titres extrêmement neutres, « Paysage de l’Estaque », « Port de la Ciotat », incapables de les distinguer entre elles, les titres de ces nouvelles toiles, plus singuliers, deviennent une véritable clé de lecture de l’œuvre. L’indication « Femme à la mandoline » permet de faire surgir, en plus de l’instrument, des doigts, des courbes, et parfois même un visage.

Braque - Guitare (petit éclaireur)La perspective, déjà considérablement aplatie, est progressivement réduite à néant par le choix de toiles ovales, et l’ajout de lettres qui assimilent la surface peinte à une page. Cette tendance s’accentue avec l’expérience des collages, initiée avec Picasso, et bientôt reprise par Max Ernst. L’huile fait place à des papiers – papier faux bois, papier journal, papiers de couleur… – et au fusain, qui trace des lignes et des courbes suggestives.

Les natures mortes se multiplient, reprenant sans cesse les mêmes motifs – instruments, bouteilles ou cartes, fruits dans un compotier -, et la couleur refait peu à peu surface. Elle est moins vive que pendant la période fauve de Braque, mais elle a gardé de sa pureté. Les lignes droites elles aussi évoluent, et s’assouplissent progressivement. Enfin, la perspective resurgit, les toiles regagnent en profondeur, mais nourries de toutes les expériences qui précèdent. Ce retour progressif à un régime figuratif fait réapparaître des corps de femmes dans ces toiles, elles aussi chargées du parcours du peintre.

Braque - HéraclèsUne parenthèse mythologique révèle une peinture sans couleur. Au début des années 1930, Georges Braque répond à une commande et illustre la Théogonie d’Hésiode. Ce long récit consacré à l’origine des dieux prend avec le peintre la forme de silhouettes esquissées d’un trait, dont le corps se mêle à ceux d’animaux, dans un mouvement envoûtant. Des profils et des yeux ronds évoquent avec la finesse des traits les dessins de Jean Cocteau, ami du peintre. Outre les gravures, réjouissantes par l’imaginaire qu’elle suscite, Braque crée trois œuvres sur plâtre noir gravé, avec des lignes blanches parfois étendues en surface, dont la luminosité évoque la nacre.

Là prennent place les quelques sculptures du peintre, liées aux gravures de la Théogonie par le motif du cheval. Qu’ils soient dessinés ou gravés dans le bronze, leurs arabesques sont tout aussi belles. Les visages aux grands yeux se retrouvent aussi, et s’épousent de façon particulièrement émouvante dans Hymen, sculpture faite de galets qui évoque le Baiser de Constantin Brancusi.

Retiré à Varengeville pendant la Seconde Guerre mondiale, Braque en donne un écho à travers des peintures assombries, où la mort plane par la présence de têtes de morts dans ses natures mortes, ou de silhouettes sombres représentées de dos. La représentation d’intérieurs mène progressivement à celle de son atelier, dans une série à propos de laquelle le peintre fait part d’une expérience véritablement introspective.

Braque - oiseauxDes paysages tardifs voient le retour de couleurs et de barques – la barque de Braque – et d’oiseaux au loin. Ce sont eux qui couronnent son parcours artistiques, avec une commande du Musée du Louvre pour l’un de ses plafonds. Le motif, déjà prégnant dans son œuvre, prend alors toute son ampleur. Progressivement réduites à des silhouettes noires, ces oiseaux semblent symboliser l’envol du peintre, fantôme de ciels unis et légèrement colorés.

La rétrospective est parfaitement didactique grâce à la logique extrêmement claire de l’œuvre de Braque. Mouvements et thèmes s’unissent dans des périodes, et l’évolution de l’une à l’autre est mise en évidence par des toiles de transitions explicites. Une telle traversée des différents mouvements de l’art par un unique artiste est exceptionnelle dans la richesse qu’elle offre, et permet de révéler d’un point de vue intime les expériences artistiques de l’art moderne.

F.

Braque - trois oeuvres

 Pour en savoir plus sur l’exposition « Georges Braque », rendez-vous sur le site du Grand Palais.

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