« Chagall, entre guerre et paix » au Musée du Luxembourg

Le musée du Luxembourg propose une rétrospective des œuvres de Marc Chagall sous-titrée « entre guerre et paix ». S’appuyant sur les dates du peintre, 1887-1985, les commissaires de l’exposition envisagent son parcours personnel en rapport avec les événements du XXe siècle, cherchant dans sa production les indices, les traces de l’histoire. La visite est courte, dense et colorée : chaque tableau mérite d’être observé dans le détail pour faire durer le plaisir autant que possible.

Chagall - LuxembourgLa thématique annoncée pour cette monographie sert moins à se saisir de l’œuvre de Chagall qu’à désigner l’époque qu’il traverse, depuis la Russie jusqu’à la France en passant par les Etats-Unis pendant la deuxième Guerre mondiale. En réalité, le déroulement de l’exposition est tout bonnement chronologique. Les nombreux textes qui ponctuent la visite servent ainsi à recontextualiser les œuvres et à souligner certaines constantes thématiques, qui tentent de séquencer sa production artistique. C’est ainsi que la figure du juif errant est par exemple mise en valeur dans les peintures consacrées à son village natal, Vitebsk.

S’ils sont riches en informations, ces textes semblent parfois disproportionnés par rapport aux œuvres. Trois toiles seulement viennent illustrer un propos sur la présence du rêve dans la peinture de Chagall, qu’il exploite non pas à la manière des surréalistes mais de façon totalement consciente. Ceci annonce la taille de l’exposition, qui prend trop vite fin malgré le nombre relativement important d’œuvres qu’elle présente.

Il faut donc prendre son temps devant chaque toile et en décrypter les symboles. Car en effet, l’un des traits de l’art de Chagall est d’utiliser la toile moins comme une surface de représentation que comme un espace d’expression, dont chaque recoin est à exploiter. Placé au carrefour du mythe et de la modernité, le réalisme n’est pas vraiment ce qui caractérise ses œuvres : ses personnages et ses animaux défient régulièrement les lois de la gravité et de la perspective, en s’envolant dans les airs ou en marchant sur les toits. De même, des inclinaisons, voir des renversements radicaux bouleversent ses œuvres, qui semblent alors n’avoir plus ni haut ni bas.

Chagall - A ma femmePetit à petit, à mesure que son art s’enrichit au contact de divers mouvements artistiques par rapport auxquels il reste autonome, l’arrière-plan devient de moins en moins réaliste. Dès lors, il est soit un aplat de couleur vive soit composé d’éléments incompatibles, plus rassemblés sur le mode de l’évocation et du souvenir que suivant le modèle de la réalité. Le tableau A ma femme, dédié à Bella, qui a partagé presque la moitié de sa vie, la représente ainsi sur un lit, entourée d’un tas d’objets et de symboles accolés sans ordre ni logique, qui laissent à penser que chacun avait une signification bien particulière pour le couple.

Ce qui fascine dans les peintures de Chagall, ce sont précisément ces détails, qui fourmillent dans chacun de ses toiles. Tête d’animal, bouquet de fleurs, mariés enlacés, violoniste, acrobate, Christ crucifié, lune, chandelier – tels sont les éléments que l’on retrouve d’une œuvre à une autre, comme redistribués suivant des proportions différentes. Les identifier immerge dans l’univers de cet artiste juif, qui sans cesse a tenté de réconcilier le judaïsme et le christianisme dans sa peinture, de façon tout à fait convaincante.

Chagall - Le RêveCe foisonnement de moins en moins réaliste est précédé par des dessins de soldats, largement imprégnés par la première Guerre mondiale. Mais déjà se retrouve un certain style, une pâte qui est la plus manifeste dans la représentation des yeux de ses créatures. Qu’elles soient humaines ou animales, ils sont semblables à de grandes amandes, percées de larges pupilles mates. Son activité d’illustrateur prend également place dans cette monographie. Dans ce cas, loin de se soumettre aux textes dont il s’inspire, notamment la Bible, il en nourrit son art, et ces dessins s’inscrivent à leur tour dans le flux de sa création.

Sous son pinceau, les sujets les plus tragiques trouvent une beauté, une douceur, qui ne les désamorce en rien mais révèle au contraire la douleur qu’ils suscitent chez le peintre. Chagall apparaît ainsi comme un artiste profondément humaniste, dont le vœu le plus cher est une réconciliation universelle, que La Danse ou que les premières esquisses de La Vie laissent entrevoir.

La vivacité de ses couleurs, la richesse des symboles qu’il crée, autant que la fantaisie de ses compositions font de chacune de ses œuvres une rêverie dans laquelle on se perd volontiers, sans pour autant perdre contact avec le monde. La force de son art réside probablement dans cette capacité exceptionnelle à allier l’onirique et le réel.

F.

Chagall - Vitesbk

Chagall - La Vie

Pour en savoir plus sur cette exposition, rendez-vous sur le site du Musée du Luxembourg.

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