Rien de tel qu’une œuvre destinée aux enfants pour déployer l’imaginaire, non seulement des spectateurs mais aussi des artistes. La jeune compagnie La Pièce Montée s’appuie dans son dernier spectacle sur un texte de Fabrice Melquiot, Albatros, et construit à partir d’elle un spectacle en grande partie fondé sur l’image numérique. L’introduction de cette technique sur sa scène donne une toute autre ampleur au travail de Laura Mariani.
Tite Pièce et Casper sont deux enfants adeptes de l’école buissonnière. Après avoir renoncé à passer leur journée fourrés dans des buissons, ils ont choisi trois marches au bord d’une route comme poste d’observation. Quand ils n’énumèrent pas les voitures qui passent et leurs occupants, ils partagent leurs projets d’avenir. Casper, lui, veut « devenir quelqu’un » ; quant à Tite Pièce, son but à elle est d’acheter une cave où vivre. Leurs corps criblés de bleus et de coups et quelques discrètes allusions amènent comprendre que tous deux tirent leur force de caractère de la violence que leur infligent leurs parents.
Ainsi se déroule leur quotidien, jusqu’à ce que le Génie de l’huile de coude rende visite à Casper. Le voilà alors investi d’une mission aussi importante que celle de Noé : sauver sept personnes du déluge qui surviendra dans trois jours. Cette épreuve initiatique révèle alors à l’enfant la bonté contenue en chaque individu.
Mi-réaliste mi-fantastique, cette fable en fait voir de toutes les couleurs. Celles-ci prennent forme sur l’écran transversal qui structure la scène et l’ouvre dans la profondeur. Fenêtres, murs, nuages, oiseaux, génie, pluie ou grenouilles surgissent comme par magie et se meuvent, sous l’effet d’une baguette de chef d’orchestre ou par le simple fait d’une parole devenue performative.
Les deux jeunes comédiens, Anthony Binet et Anne-Laure Bonet, se retrouvent ainsi contraints de jouer avec ces images, de les déclencher ou d’entrer en interaction avec elles. Quand ce n’est pas le cas, ils interprètent avec beaucoup de justesse les deux héros de la fable. Enfin, deux autres comédiens les accompagnent sur scène, afin d’incarner les autres personnages invoqués par le texte.
La grande qualité de ce spectacle est de ne pas se contenter d’user de la force des images d’Alexandre Deschamps et de William Lambert. La réapparition d’éléments scénographiques concrets aux deux tiers du spectacle, dévoilés là où on ne les attendait pas, nourrit la confrontation entre le rêve et la réalité. La poésie naît de cette confusion indémêlable, de ce côtoiement fécond entre le théâtre traditionnel et les ressorts techniques de la scène contemporaine.
L’issue inattendue et quelque peu décevante du texte de Fabrice Melquiot n’entame en rien le plaisir qu’a pris le spectateur au voyage somme toute pas si merveilleux de ces deux enfants.
F.