Denis Guénoun reprend dans le Studio du Palais Chaillot un spectacle créé en 2010 à l’occasion du centenaire de Jean-Louis Barrault, intitulé Artaud-Barrault. Pour confronter ces deux figures majeures du théâtre du XXe siècle, il se sert de documents authentiques : archives vidéo, lettres et mémoires. Du théâtre-documentaire donc, avec ce que cela implique d’histoire et de performance.
La séance débute avec la diffusion d’un film conçu à partir d’entretiens du metteur en scène Jean-Louis Barrault, conservés par l’Ina. Récit de sa rencontre avec Claudel, captations de mises en scènes, témoignages touchants avec sa femme Madeleine Renaud… Ces images parfaitement agencées sont passionnantes et révèlent Jean-Louis Barrault sous un angle véritablement humain.
Avant que le théâtre ne remplace l’écran, Denis Guénoun lui-même vient sur le devant de la scène et annone que tout ce qui va être dit est authentique. Dans le cadre du centenaire Jean-Louis Barrault, il a découvert un recueil de dix lettres d’Antonin Artaud qui étaient adressées à ce dernier. En réponse à elles, le metteur en scène a intercalé des mémoires de Barrault, relatant ses relations avec Artaud. Un collier de textes, comme il dit, qui met en lumière ces deux personnalités si différentes.
Leur rencontre a lieu après la première d’Autour d’une mère de Jean-Louis Barrault. Ce spectacle est perçu par Artaud comme l’incarnation de toutes ces idées sur le théâtre. Se noue alors une relation passionnelle, du mimétisme destructeur à la séparation salvatrice, après le voyage d’Artaud au Mexique.
Les lettres que ce dernier continue à adresser à Barrault sans relâche dévoilent une personnalité excentrique, insaisissable. Artaud apparaît comme un ascète, qui souhaite faire corps avec le théâtre, jusqu’à s’y fondre tout entier. Interné en 1937, il se défend des diagnostics des médecins en se disant envoûté et se réfugie dans la religion. Progressivement, la voix raisonnée de Barrault laisse place à celle enflammée d’Artaud, jusqu’à ce que l’échange prenne la forme d’un monologue, qui laisse résonner toute sa détresse.
L’unique comédien qui donne voix à ses deux hommes, Stanislas Roquette, se métamorphose donc, quittant sa position d’intermédiaire pour s’adonner pleinement au personnage qu’était Artaud. Il lui sacrifie des litres d’eau, aux limites de l’abject, pour laisse entrevoir sa folie, sa dépossession de soi. Sur le plateau évidé du Studio, il s’agite, tourne en rond, renverse son pupitre.
Une telle violence est inattendue et n’est pas sans surprendre. Le contraste est proprement dramatique entre le début du spectacle, la projection du film ponctué par le rire de Barrault, et la performance physique et théâtrale du comédien. Un dernier texte de Jean-Louis Barrault dévoile les sentiments ambivalents qu’il éprouve à l’égard d’Artaud et vient offrir une belle conclusion à l’ensemble.
L’intelligente mise en regard de ces deux figures phares du théâtre, en aiguisant l’envie de connaître leur pratique théâtrale plus avant, produit un inévitable sentiment de frustration qui ne peut être comblé que par la lecture.
F. pour Inferno
Pour en savoir plus sur « Artaud-Barrault », rendez-vous sur le site du Théâtre national de Chaillot.