« Les Bonnes » de Genet à l’Athénée

La mise en scène des Bonnes par Jacques Vincey, actuellement à l’Athénée où le spectacle a été créé, est extrêmement soignée. Malgré le rire léger qu’elle peut susciter, elle s’appuie sur une lecture fidèle du texte et une réelle connaissance de l’œuvre de Genet. Ce qui intrigue ou étonne trouve, après réflexion, un sens pour qui le cherche.

Vincey ne se contente pas de respecter au maximum les indications de Genet qui précèdent la pièce, d’entrée de jeu il fait dire le « Comment jouer les Bonnes » par un homme nu en gants de latex bleus. Porteur de la voix de Genet et de la précision contraignante de ses indications, on le retrouve par la suite sur scène, en sorte de régisseur muet.

Le metteur en scène prend ses libertés quant à la scénographie. Loin de présenter pour décor une chambre bourgeoise qui mettrait en avant le huis clos, il se sert d’une structure à plusieurs niveaux en métal. Les objets sont réduits au minimum et gagnent ainsi en importance. Manipulés par l’homme rhabillé, ils acquièrent la puissance de déplacement et de trahison que leur attribue Claire dans la panique.

Cet espace vertical dit avant même la parole les rapports de domination. Les jeux de rôles des deux bonnes, Claire et Solange, s’y inscrivent parfaitement : Claire joue Madame, dans sa robe de tulle et Solange joue Claire. La seconde déverse sa haine sur la première, se libérant des crachats qu’elle ravale toute la journée. La dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, ou de la maîtresse et des bonnes, si elle n’était pas assez perceptible dans le texte, est éclatante.

Les deux comédiennes, Hélène Alexandridis et Myrto Procopiou, sous leurs perruques identiques, maîtrisent tous les registres. Il faut un talent certain pour faire entendre dans leur discours la voix de leur rôle, leur sarcasme et leurs moments de sincérité. Cette porosité du langage dit l’instabilité de leur identité – instabilité magnifiquement illustrée par le miroir que tend Solange-Claire à Claire-Madame et qui propose une nouvelle combinaison par la superposition de la tête de l’une et du corps de l’autre.

Ce monstre, elles le font naître chaque fois que Madame s’absente. Lorsque celle-ci apparaît enfin, désespérée de l’arrestation de son mari, elle se montre à la hauteur des fantasmes des deux sœurs. Ignorante des choses du monde, fière de sa prétendue bonté à l’égard de ses bonnes, opportuniste même dans le malheur, elle est une grande comédienne, du niveau de celles qui la servent.

Ce que dévoile bien leur jeu à toutes les trois, est la dimension érotique du texte. Claire et Solange s’échauffent l’esprit et font montée leur haine jusqu’à l’orgasme, de la même façon que Madame se répète son malheur avec jouissance. Redoublée par Solange comme par son ombre, Madame se trouve réduite à une marionnette dont les répliques sont connues d’avance.

Le moindre déplacement, le moindre geste semble être chargé de sens. Vincey réussit à provoquer le malaise que Genet invoquait chez une partie du public, alors que d’autres auront passé un agréable moment grâce au comique et à la pluie de paillettes qui vient égayer la scène à chaque fois qu’il est question de fleurs.

F. pour Inferno

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