« Le Pont des Arts », d’Eugène Green

Hier soir, le cinéma Le Balzac a laissé carte blanche à Benjamin Lazar, dans le cadre de son partenariat avec le Théâtre de l’Athénée. Le metteur en scène et comédien a choisi le film d’Eugène Green Le Pont des Arts, et a invité le réalisateur à venir échanger avec le public. Une occasion de revoir le film et de rencontrer cette personnalité de notre siècle.

Sorti en 2004, l’œuvre de l’Américain, cinéaste et dramaturge, avait trouvé son public auprès des amateurs de musique baroque et du « Lamento della ninfa » de Monteverdi. Cette pièce est en effet au cœur du film : elle le structure et détermine sa progression d’un bout à l’autre.

Divisée en six chapitres, la narration met dans un premier temps en regard deux jeunes couples où la compréhension mutuelle n’est pas vraiment de mise. D’une part, il y a Natacha Régnier, dans le rôle de Sarah, qui chante sous la direction de l’Innommable, et qui peine à partager son art avec son conjoint. De l’autre, il y a Pascal, qui délaisse ses cours et son mémoire de littérature surréaliste quand son amie, qui prépare l’agrégation de philo, l’incite à « se faire une situation » et à « se respecter ».

L’un comme l’autre ne trouve plus sa place dans le monde dans lequel il vit. Après avoir enregistré la pièce de Monteverdi avec l’ensemble « Les Délices triomphantes », Sarah met fin à ses jours en se jetant du Pont des Arts. De son côté, Pascal est sur le point de faire de même dans sa cuisine, quand la voix de Sarah le sauve et lui redonne goût à la vie.

Malgré cette trame, peu gaie, le film fait rire plus d’une fois. Dès les premiers mots, le spectateur se fait surprendre par une diction parfaitement articulée et qui ne manque aucune liaison. Cette coquetterie est plus ou moins accentuée selon les personnages. C’est avec Denis Podalydès, l’Innommable en question, que le décalage est le plus grand entre ses expressions précieuses et sa gestuelle maniérée.

Chacun des personnages est proche de son type, de sa caricature, mais suffisamment fin pour échapper au grossier. Des répliques et des scènes deviennent dès lors mythiques : outre l’inoubliable silence de Jacques Vaché, on retient le « Ne sois pas vulgaire » de Sandrine ou l’interprétation de Phèdre par Jean-Astolphe.

Eugène Green a beau être passionné par le baroque et avoir largement œuvré à son rétablissement au théâtre, il réussit à garder dans ce film une certaine distance, un certain sens de l’autodérision. Lui-même se met en scène en tant que barman du « Glauque », le café du coin.

C’est un bon équilibre entre le rire et la justesse des phrases, tant sur l’explication de l’oxymore baroque que sur la vérité ou la liberté. Le tout étant mis en musique par le Poème Harmonique, avec notamment la voix de Claire Leffiliâtre qui interprète divinement le Lamento, nous sommes comblés.

La soirée s’est terminée avec quelques échanges avec Eugène Green et Benjamin Lazar, qui confirment leur talent jusque dans la spontanéité des réponses qu’ils offrent.

F.

Related Posts

None found