« Journal d’un curé de campagne » de Bernanos au théâtre des Mathurins

Dans la petite salle du théâtre des Mathurins, l’ambiance est plutôt intime. Et lorsque le rideau s’ouvre et que l’on découvre la petite chambre exigüe de notre curé, on s’y sent bien.

A la lumière d’une bougie et d’habiles éclairages, notre (anti-)héros se tient devant nous en toute sincérité, écrivant à haute voix son journal, dont la destinée est d’emblée vaine à ses yeux. Ce qui seraient des confessions dans un autre contexte, sont ici un témoignage, souvent poignant mais surtout réaliste, de la vie d’un petit village du Nord de la France.

Les voix qui interviennent dans ce monologue dévoilent des personnages pour le moins originaux, dont le vécu semble déjà bien lourd, même chez les plus jeunes. Ainsi, on entend Mademoiselle Chantal, déroutante, Madame la Comtesse, une des figures centrales, le curé de Torcy, la sagesse, et la petite Séraphita à la répartie bien tranchée.

Maxime d’Aboville, à l’origine de la pièce et seul comédien sur scène, a pourtant dû faire des choix dans l’œuvre de Bernanos. Certains passages sont élagués, concentrant le spectacle sur l’action proprement dramatique, au détriment de ce qui relève de l’intériorité et de la foi du jeune prêtre.

Je me demande encore s’il fallait connaître le livre pour apprécier la performance. Fraîchement refermé, je note les manques. Mais cela permet aussi de mesurer la justesse du jeu du comédien. Il réussit à transmettre implicitement ce qui est clairement dit dans le texte, insistant particulièrement sur la valeur organique et corporelle de la parole.

On ne voit sur scène que peu de mentions de sa difficulté à prier, et pourtant, le curé ne regarde pas son crucifix, les temps de prière sont au minimum. Tout se tient dans une émotion bridée, dite à demi-mot, ni trop fort, ni trop bas, avec justesse tout simplement. On regrette les conséquences tues de la mort de Madame la Comtesse, mais il faut bien avancer et l’on perçoit le minimum.

Le plus gros risque aurait été de tomber dans le pathos et de surjouer les sentiments puissants de chacun des personnages. Mais ici, d’Aboville a ce qu’il faut de mesure et d’intonations pour ne pas laisser indifférent et ne pas forcer l’émotion non plus.

Si l’on allie la scène à la lecture, on obtient un condensé de vie intense qui séduit et donne à penser.

F.

On juge l’enfer d’après les maximes de ce monde et l’enfer n’est pas de ce monde. […] L’enfer, madame, c’est de ne plus aimer. Ne plus aimer, cela sonne à vos oreilles ainsi qu’une expression familière. Ne plus aimer signifie pour un homme vivant aimer moins, ou aimer ailleurs. Et si cette faculté qui nous paraît inséparable de notre être même – comprendre est encore une façon d’aimer – pouvait disparaître, pourtant ? Ne plus aimer, ne plus comprendre, vivre quand même, ô prodige !

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