Alice aux Pays des Merveilles, de Carroll à Burton

La sortie du film très attendu de Tim Burton est l’occasion de se replonger dans le chef d’œuvre de Lewis Carroll. Souvent tenu pour lu depuis la sortie du dessin animé Disney, ce petit livre hors normes est une (re-)découverte réjouissante.

C’est à l’occasion d’une promenade avec les trois petites filles Liddell que Lewis Carroll a imaginé pour la première fois les aventures fantastiques d’Alice. Se laissant porter par son imagination débordante et guidé par les envies des petites, il crée ce pays des merveilles, qui nous est à tous familier.

Au-delà des personnages extraordinaires et des rebondissements multiples, Les aventures d’Alice au pays des Merveilles sont aussi un conte initiatique, une quête identitaire qui passe par le langage. Ce que ne nous montre pas ou peu le dessin animé, ce sont tous les jeux de mots, les quiproquos et malentendus qui structurent chacun des épisodes.

Les rencontres successives qui jalonnent le parcours d’Alice, guidée par le principe de plaisir, sont aussi bien marquées par l’absurde que par la fraîcheur des raisonnements enfantins. On redécouvre des impressions universelles qui séduisent par leur poésie.

Aussi, quand le langage a une telle place dans l’œuvre, le porter à l’écran est un pari audacieux. Le dessin animé était fidèle, même si on perdait déjà des éléments précieux, mettant en valeur de réels conflits intérieurs. Bettelheim et sa fameuse Psychanalyse des contes de fées a relevé cette immense perte des contes lorsqu’ils sont portés à l’écran : ils sont simplifiés, embellis et manichéens. Toute la valeur psychologique du conte est perdue au profit d’un divertissement.

Dans ces conditions, la « suite » imaginée par Tim Burton risque de rompre encore plus avec la matière première. Il y a beau y avoir des citations à la lettre, des personnages identiques et des épisodes communs, le réalisateur a franchement dépassé l’esprit de l’auteur anglais.

L’encadrement du retour d’Alice aux pays des Merveilles est peu convaincant et n’apporte pas grand-chose à l’histoire. De plus, ses multiples transformations de taille sont l’occasion pour l’actrice d’exhiber des tenues très modes et la problématique vestimentaire en devient réellement une !

Enfin, pour ce qui est de l’intrigue, inventée de toute pièce, elle renvoie à des thèmes galvaudés comme la lutte entre le Bien et le Mal, l’opposition de deux royaumes ennemis, le héros qui s’ignore, la valeur de l’amitié… Et le traitement esthétique est malheureusement peu original quand on connaît l’oeuvre de Tim Burton.

Où est l’innocence d’Alice ? sa spontanéité ? où est la folie de ses amis ? où est le rêve, en somme ? Dans le livre de Lewis Carroll.

F.

 

Alice n’avait pas la moindre idée de ce qu’était la latitude, pas plus d’ailleurs que la longitude, mais elle jugeait que c’étaient de très jolis mots, des mots superbes.

Cependant, ce flacon ne portant décidément pas l’étiquette : poison, Alice se hasarda à en goûter le contenu ; comme il lui parut fort agréable (en fait cela rappelait à la fois la tarte aux cerises, la crème renversée, l’ananas, la dinde rôtie, le caramel, et les toasts chauds bien beurrés), elle l’avala séance tenante jusqu’à la dernière goutte ».

Elle se dressa sur la pointe des pieds, jeta un coup d’œil attentif, et son regard rencontra immédiatement celui d’une grosse chenille bleue, assise les bras croisés, fumant tranquillement un long narguilé, sans prêter la moindre attention à Alice ou à quoi que ce fût.

D’ailleurs, pensa-t-elle, à quoi servirait un cortège, si chacun devait se jeter le visage contre terre et ne pouvait le voir passer ?

« Peut-être que c’est toujours le poivre qui rend les gens furieux », continua-t-elle, ravie d’avoir découvert une nouvelle règle, « et le vinaigre qui les rend aigres…, et la camomille qui les rend amers…, et… et le sucre d’orge et les friandises qui rendent les enfants doux et aimables ».

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