« Cyrano de Bergerac » à la Comédie Française

C’est se donner un défi énorme que de vouloir mettre en scène la pièce de Rostand. Complexe tant par la forme versifiée que par la pluralité des lieux, le texte demande de multiples talents. Polydadès relève-t-il le défi ? Selon la majorité, oui, il reçoit six oscars. A mon avis, plus humble, en partie seulement. Après la merveilleuse adaptation cinématographique de Cyrano de Bergerac, le public a déjà en tête des visages, des caractères et des décors. Passer après est un risque à prendre.

Ainsi, il faut marquer une différence, elle est incarnée par Cyrano. Ce rôle que l’on connaît par cœur, -la tirade du nez-, le voilà inattendu, inconnu. Les mots sont les mêmes, les évènements aussi, mais il est moins… et plus… Les pieds de nez sont ses parties préférées ; le côté sensible et sentimental en est du même coup évincé. Au jeu de l’amour, il joue plus qu’il n’est amoureux. Pourquoi pas, il faut s’y faire. Les autres personnages s’accordent donc à sa fougue et à sa verve et perdent un peu de leur éclat. Si Christian est en effet le corps quand Cyrano est l’esprit, il est transparent de bêtise, Roxanne est alors superficielle dans son amour… Il faut donc leur donner une grandeur, autre que celle que l’on attend : elle se plaît tant dans les discours qu’elle s’envole dans les airs.

Voici une façon de rendre hommage à l’auteur que fût Cyrano de Bergerac, si fasciné par d’autres univers qu’il l’était. On en oublie d’ailleurs presque le rôle de Rostand qui reproduit avec fidélité les combats et les écrits de Cyrano. Il lui rend justice lorsqu’il rappelle son rôle dans la scène de Molière dans Les Fourberies de Scapin, « mais que diable allait-il faire dans cette galère », et lui fait honneur par la tirade de l’homme d’esprit qui retarde de Guiche, où il démontre sept façons d’atteindre la lune, largement inspirée Des Etats et Empires de la Lune. Le texte est un délice aux milles saveurs qu’il fait bon redécouvrir. L’on s’étonne encore de sa modernité, due aux ruptures de registres malgré le choix des vers. L’intrigue nous émeut toujours autant et l’on redécouvre avec joies des tirades oubliées.

Pourtant, une déception majeure débute le spectacle. Rappelez-vous, la pièce s’ouvre dans les coulisses d’un théâtre où une polémique va éclater entre Cyrano et l’acteur Montfleury. Non seulement, les vers sont répartis entre de nombreux personnages, allant et venant, mais en plus, le metteur en scène fait ici le choix de superposer trois tableaux qui perdent de leur valeur par leur nombre et qui, en plus, confondent le spectateur.

De façon plus générale, les mérites de La Comédie Française résident dans la richesse et la pluralité des décors. Ce n’est pas forcément servir le texte que de multiplier les artifices, et l’on se contente de plus en plus de la simplicité. Du théâtre, à la cuisine de Ragueneau, au balcon de Roxanne, au champ de bataille, au couvent, le voyage spatio-temporel désunit la pièce. Il est de coutume de voir en le héros un cousin de Don Quichotte, mais ce lien ne justifie pas tout et les lieux manquent de relations. Les acteurs sont nombreux, ils se complètent d’un acte à l’autre et rien n’est à en dire. Les costumes de Christian Lacroix sont sobres et s’inscrivent naturellement dans le style de la double époque de l’action et de l’écriture.

Les défauts majeurs n’en sont pas tout à fait. Cette pièce qui dresse l’éloge du théâtre est une prouesse de mise en scène et l’on se contente malheureusement du film, au risque d’en oublier la destinée promise par l’auteur.

F.

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