« La Cantatrice Chauve » d’Eugène Ionesco
au Théâtre Silvia Monfort

La pièce :

La Cantatrice chauve est, selon son sous-titre une « anti-pièce », composée d’un acte et de 11 scènes. Première pièce de Ionesco, l’idée lui vient alors qu’il essaie d’apprendre l’anglais.

Elle initie le mouvement de l’absurde, définit par « l’effondrement du réel » et la déstructuration du langage. Derrière la réception comique de la pièce, l’auteur dénonce les problèmes inhérents à la langue, dans une société où la pensée est occultée par la parole. La communication est brouillée, sa charge de sens est annihilée et ce n’est plus que l’habitude qui la régit.

Pour faire prendre conscience au public de l’absurdité du quotidien, Ionesco l’y « enfonce », selon son expression. Il manipule ainsi toutes les formes du comique, celui de répétition, de coïncidence, de contradiction et surtout, d’habitude.

Il n’y a pas de trame narrative dans la pièce. Les Smith et les Martins, bourgeois anglais, dînent ensemble et écoutent les anecdotes du capitaine des pompiers, interrompu par la bonne, Mary. L’absence de logique, présente dès le titre de la pièce, dont on ne trouvera pas d’explication, permet une liberté infinie.
Liberté dans la mise en scène et dans l’interprétation du texte. Car, si le manuscrit est parsemé de didascalies, elles sont plus des pistes à suivre que des éléments imposés au metteur en scène. Daniel Benoin en fait l’expérience.

La mise en scène :

D’emblée, il nous prévient, sa mise en scène sera une inscription dans la modernité de la pièce de Ionesco. Il nous explique que selon lui, ce qu’a voulu dénoncer l’auteur n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui. Il parle d’ « hyper-fragmentation de la parole ». C’est la raison pour laquelle sont présents sur scène, des portables jusqu’à l’envahissement, des écrans plats en marche, des télécommandes qui se disputent, un mac book. Pourtant, le texte n’est pas en décalage avec ces éléments. Le spectateur revit ce que Ionesco voulait faire comprendre dans son propre système de valeur, c’est lui rendre hommage.Le fil rouge

Face à cela, le public rit, surtout les collégiens qui occupent la salle. Dans ses didascalies, il est entendu avec l’auteur que le metteur en scène doit manipuler le public. Daniel Benoin est très bon dans cet exercice : les exclamations sont à l’unisson, les spectateurs n’hésitent pas à finir les phrases des acteurs.

Son habileté ne s’arrête pas là. Quand on y repense, on trouve des clés de compréhension, plus ou moins évidentes. L’un des acteurs perd sa perruque au milieu de la pièce, il est chauve. Mary, la bonne, est roumaine, comme l’auteur. Le fil rouge que le capitaine des pompiers emmêle autour de ses auditeurs lorsqu’il leur raconte que « la fille de la sœur, de la nièce […] avait un rhume » lui permet de ne pas perdre le fil, rouge. Quelques obscurités persistent mais elles enrichissent le travail du metteur en scène.

Puisqu’il faut choquer pour plaire, Daniel Benoin s’y plie. Mais pas de la façon la plus vulgaire qui soit. La libido est omniprésente sur la scène, mais dans les coulisses, c’est le vide intersidéral. Certes, un pétard est fumé, une poitrine est dévoilé, une ligne est reniflée. C’est dommage ? Pas tant que ça, quand on connaît le projet du metteur en scène. Au moins, il fait parler de lui. Aurait-il trouvé le cocktail explosif qui permette à la fois d’être entendu par la presse et de présenter beaucoup de talent aux spectateurs avides de voir ?

Dernier mot pour les acteurs, tous très bons. En y réfléchissant, on ne saurait les départager, dans leur conquête de la parole aussi bien que dans la mise en concurrence de leur jeu. Belle performance lorsqu’on sait qu’il ne faut pas y voir une interprétation simpliste et moderne de la pièce.

 

F.

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