« Albertine Disparue » de Marcel Proust

Le tome cinq de la Recherche, La Prisonnière s’achevait sur un coup de théâtre : Albertine, apparemment soumise au héros, le quitte, sans le prévenir. La suite, Albertine Disparue, initialement intitulé « La Fugitive », reprend le récit à cet instant même où Françoise, la domestique, lui annonce : « Madame Albertine est partie ! ».

Dans ce volume, moins long que les autres, la jalousie a fait place à l’observation de la souffrance, de l’absence et bientôt de l’oubli. Le narrateur se voit confronté à lui-même, ayant été abandonné par ce qui constituait son dernier contact avec la réalité et la vie sociale. Après des démarches vaines pour faire revenir celle qui lui manque plus par habitude que par amour, il apprend sa mort lors d’un accident à cheval.

Alors qu’il croyait que cette nouvelle le libérerait de ses tourments, le voilà forcé de se souvenir, à chaque instant et en chaque lieu, de celle qui a partagé son quotidien et ses vacances depuis quelques années. Il ne résiste pas à la tentation de sonder encore ses amies et de chercher à découvrir la vérité sur ses attirances. Mais déjà, les révélations l’importent moins, et sa perte diminue ses défauts.

Dans la solitude de son appartement, il se souvient de toutes les phrases et de tous les gestes de sa captive, et compare avec ceux qui avaient dès le début annoncé son histoire : Swann et Odette. Si l’issue est différente, les causes de l’amour, elles, sont identiques, et la jalousie, aussi puissante. Albertine se substitue peu à peu à Gilberte, puis à la grand-mère du héros en tant que défunte.

Le temps de la cristallisation de l’être aimé précède celui de l’oubli et de la convalescence. Certes, son regard sur les jeunes filles qu’il croise est à jamais biaisé, mais ses fantasmes le reprennent petit à petit, de façon ponctuelle et moins forte. Le cercle de ses amours se referme quand il s’éprend d’une jeune fille qui n’est autre que Gilberte, dont la situation sociale à bien évolué.

Ses travaux d’écriture et son voyage à Venise sont les dernières étapes qui l’éloignent d’Albertine. Les tableaux de Carpaccio ont beau ramener à lui son souvenir – comme il avait cherché à évoquer cette ville rêvée dans le choix des robes d’Albertine – l’amour est passé. Même une erreur de déchiffrement qui le laisse croire qu’elle est en faite vivante ne réussit pas à raviver ses sentiments.

Finalement, le mariage de Gilberte et Saint-Loup le ramène à la petite fille de Combray, et lui permet de tirer des bilans. Grâce à elle, il met fin à l’ambivalence qui l’a animé toute son enfance, entre les balades du côté de Méséglise et celles du côté de Guermantes. La relecture du passé annonce le temps de l’écriture, tant attendu : Le Temps retrouvé.

F.

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