« La Chute » de Camus au théâtre Darius Milhaud

Dans le petit théâtre Darius Milhaud du Nord-Est de Paris, la distance entre le spectateur et la scène est fortement réduite. Cela convient bien à l’ambiance particulière du livre de Camus, La Chute, dans lequel Jean-Baptiste Clamence dialogue avec un homme dont on devine les répliques plus qu’on ne les entend.

Seul sur scène, Jean Lespert devient Jean-Baptiste Clamence, cette « Vox clamans in deserto », ou voix criant dans le désert. Il reprend mot à mot les phrases écrites par Camus, dans ce livre à la narration si originale. Pas de mise en situation, de description ou de didascalies. Le décor, les personnages et la temporalité se mettent en place par la parole seule, au cœur de la réflexion de cet ouvrage.

On se retrouve donc plusieurs soirs de suite dans la ville d’Amsterdam, où notre Juge pénitent entame une discussion au bar du Mexico City, autour d’un genièvre. D’autres fois, il est sur le bord du canal, toujours avec le même inconnu, et on le voit pour la dernière fois, malade, dans sa chambre. De quoi est-il question ? De Justice et de jugements des hommes, essentiellement.

Pour autant, l’on n’a pas affaire ici à un plaidoyer. Le ton est cynique, parfois drôle et chargé de métaphores. De la Bible à la mythologie, de nombreux outils sont mobilisés. Dans ce discours fragmentés par les jours, Clamence dévoile sa dialectique du Juge pénitent : ne peut juger autrui que celui qui s’est d’abord auto-condamné, celui qui a avoué. Cela fait, il peut à son tour estimer son semblable et prononcer un châtiment.

La distance au monde, le peu d’affectation qu’on a pu voir dans L’Etranger, le comédien les reproduit bien. Point d’emphase ni de grandiloquence, dans des phrases merveilleuses de justesse pourtant ; mais plutôt le ton d’un homme désabusé, lucide sur la vie et les hommes. Difficile de garder une telle distance dans des propos si engagés.

Le texte fait à lui seul la pièce par sa puissance et le décor est bien vite dérisoire. En cela, le metteur en scène, Vincent Auvet, a fait le choix de déterminer les espaces en fonction des éclairages, et d’un faible mobilier. Pour ce qui est de l’adaptation d’un texte romanesque à la scène, la question se pose peu car il est le discours d’un homme, et son oralité ne fait pas un pli.

La seule hésitation tient peut-être à l’incarnation de ce personnage mythique : n’est-il pas plus jeune ? Plus élégant ? Plus mystérieux ? S’il n’y a pas de portrait véritable dans l’œuvre d’origine, le lecteur modèle le héros à son envie. Lorsqu’il y a décalage, le comédien devient un corps de résonnance, une occasion de réentendre le texte plutôt que de le voir en acte.

F.

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