« Calme » de Lars Norén aux Amandiers

Jean-Louis Martinelli retrouve une nouvelle fois l’œuvre de Lars Norén avec Calme. Après avoir monté trois de ses textes, dont Catégorie 3.1, il s’empare cette fois de sa pièce la plus autobiographique. Sans suivre une structure qui soit dramatique, l’auteur suédois dévoile les tensions inéluctables qui règnent au sein d’une famille somme toute banale. Là où le texte autant que la mise en scène sont transcendés, c’est à travers le double de l’auteur, le personnage de John, remarquablement interprété par Alban Guyon.

Calme - AmandiersLes affaires ne vont pas fort à l’Hôtel Standard. Non seulement il y a eu peu de clients cet été-là, voire pas du tout, mais en plus la mère et le père ont été malades. Si la dépression est chronique chez Ernst, le cancer incurable de Léna pèse avec davantage de poids sur la vie familiale. Leurs deux fils, le pragmatique Ingemar et l’artiste incompris John, doivent vivre avec ça, au moins jusqu’à la mort de leur mère, prévue trois mois plus tard.

Parmi eux il y a également Martha, l’employée de l’hôtel. Exceptionnelle car ordinaire comparée aux autres, elle assiste en spectatrice à leurs conflits et leurs déchirements, prête à partir loin d’eux une fois que Léna sera morte. L’une des caractéristiques de l’œuvre de Norén est que les thèmes abordés, s’ils touchent et remuent, sont traités sans pathos. Ce n’est pas la mort qui plombe le plus l’ambiance, elle est au contraire envisagée avec beaucoup de rationalité par Léna, de façon presque revigorante.

Non, ce qui les enlise tous, ce sont leurs affrontements. Ils n’ont rien d’extraordinaire : chacun reproche aux autres de ne pas avoir assez été aimé. Les complaintes et les menaces jamais réalisées sont comme des refrains qui deviennent indispensable, et qui les attachent les uns aux autres. Finalement tous aimeraient partir, surtout les fils, mais tous en sont incapables.

Calme - NorénLa situation est insoluble, et personne n’essaie de l’améliorer, mais la parole, elle, est cathartique et aucun ne s’en prive. Tout réside donc dans le dire, dans le fait d’exprimer sa souffrance, physique ou morale, de la balancer sans pincettes au visage des autres. Jean-Louis Martinelli donne à ce théâtre de la parole un cadre hyperréaliste. Sur son plateau, un hôtel, avec son comptoir, ses ascenseurs, son escalier, sa terrasse en bord de mer, son restaurant.

Ce cadre imposant est davantage une maison, occupé par cette famille. Si n’étaient toutes ces tables, on oublierait la nature du lieu, et cela ne changerait pas grand chose à la perception d’ensemble. L’hôtel déserté et la cave sont suffisamment présents dans les dialogues pour ne pas être représentés de façon aussi lourde. Et quand en effet le plateau se vide in extremis, redoublant la pureté sonore qui règne depuis le début, on se rend bien compte que l’on aurait pu se contenter de bien moins pour mieux se concentrer sur la langue.

Calme - Martinelli2De manière générale, scénographie, costumes et accessoires tendent à aplanir le texte, limités à un rôle d’illustration. En revanche, quand on s’émancipe de cette esthétique, que les ruptures de tons sont pleinement consommées, on atteint un autre niveau de théâtre. Alors il ne s’agit plus de peindre le caractère alcoolisé ou nicotiné de ces êtres, cherchant éperdument à devenir une famille normale, ce n’est plus de la comédie psychologique de base, du Jean-Pierre Darroussin et son éternel rôle de victime, dépressif et alcoolique.

Quand l’on sort du mode conflictuel, que le monologue prend place, le spectacle prend en effet une ampleur nouvelle. A chaque fois que John allume la radio sur la table basse, on peut s’attendre à un grand moment. C’est dans ces envolées-là que l’auteur parle en son nom et se dit. Là, on entrevoit l’artiste en devenir, sa germination dans ce cadre qui semble pourtant le condamner à jamais. La fiction familiale est alors transcendée par l’autobiographie créatrice.

Par sa performance et par la puissance avec laquelle il fait retentir le message véhiculé par le texte de Lars Norén – la famille quoi qu’il arrive, quelle que soit la violence qu’elle inflige –, Alban Guyon sauve la soirée en donnant à voir quelque chose de plus grand qu’un drame familial comme tant d’autres.

F. pour Inferno

 

Pour en savoir plus sur « Calme », rendez-vous sur le site des Amandiers de Nanterre.

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