« G » de John Berger [extrait]

Le soleil est bas dans le ciel et la mer est calme. Comme un miroir, dit-on. Seulement ce n’est pas comme un miroir. Les vagues, qui sont à peine des vagues, car elles vont et viennent en maintes directions et s’élèvent et retombent en un mouvement à peine perceptible, sont faites d’innombrables surfaces minuscules aux angles diaprés ; de ces surfaces, celles qui reflètent la lumière du soleil droit dans les yeux scintillent d’une lumière blanche l’espace d’un instant, avant que l’angle qu’elles forment avec l’observateur et le soleil se modifie, et qu’à nouveau elles s’enfoncent dans le bleu-noir du reste de la mer. Chaque fois, la lumière ne dure pas plus longtemps qu’une étincelle ne reste brillanter quand elle jaillit du feu. Mais à mesure que la mer s’éloigne vers le soleil, le nombre des surfaces étincelantes se multiplie jusqu’à ce que la mer ait effectivement quelque chose d’un miroir d’argent. Mais au contraire d’un miroir, elle n’est pas calme. Sa surface granuleuse est en continuelle agitation. Plus sont éloignés les grains qui ricochent, dont la masse devient argentée et la minorité encore visible d’une couleur de plomb sombre, plus s’accroît leur vitesse apparente. Fuyant sans arrêt vers le soleil, ses reflets se transmettant toujours plus vite, la mer ne requiert ni ne connaît aucune limite. L’horizon est le bord inférieur rectiligne d’un rideau arbitrairement et soudainement baissé sur une représentation.

Turner

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