Étiquette : Théâtre

« Le spectateur », Christian Biet et Christophe Triau

C’est déjà commencé. Ce soir, j’y vais. Il a  d’abord fallu « envisager-d’aller-au-théâtre », se mettre dans l’idée qu’on va voir des corps vivants, entendre un texte, s’asseoir devant un plateau dans un espace réservé au spectacle, à côté d’autres spectateurs que, contrairement au cinéma, on ne peut ignorer, que l’on sent, que l’on entend et souvent que l’on voit. Il a fallu prendre les places, à l’avance, généralement numérotées. Une cérémonie que tout cela, un rite qui marque la sortie du soir, une vraie envie. Ce n’est pas banal. Et puis il a encore fallu que je choisisse : le lieu, le bâtiment, sa réputation, son directeur (j’ai mes fidélités), les acteurs (on dit que tel ou telle est très bien dans la pièce), le metteur en scène, l’auteur (un classique, un moderne dont on parle ?), le texte (y en a-t-il un, au moins, cette fois ?). Ah, oui ! le texte, ce qu’il faut entendre et juger, à travers une suite d’entités qui le revendiquent : un texte éclairé, scénographié, exploré par la diction, porté par le jeu des acteurs, magnifié par le plateau ou englouti par lui. Compliqué. En me rendant au théâtre, je me sens obligé de faire plus de choix que pour tout autre spectacle, avec bien plus de prérequis. C’est intimidant en somme. Au point qu’on en vient à proposer des écoles du spectateur, ce qui me désespère. Ce soir, donc, j’ai décidé d’être curieux, de renouer avec ce qu’est d’abord le théâtre : un spectacle dont on n’a rien vu et que l’on n’a pas lu encore, un spectacle tout entier vivant.
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Gide, dramaturge de Copeau pour « Les Frères Karamazov » ?

En avril 1911, le Théâtre des Arts présente l’adaptation des Frères Karamazov par Jacques Copeau. Le rôle central qu’a joué André Gide dans ce projet a été occulté par l’histoire théâtrale, alors qu’il a été conseiller littéraire, confident, premier lecteur et premier spectateur de Copeau – soit son dramaturge. La lecture de leursJournaux respectifs et de leur Correspondance permet de réévaluer l’importance de Gide dans le mouvement de rénovation du théâtre qu’a initié Copeau avec ce premier spectacle.
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« Blanche » de Catherine Blondeau – éclats d’une identité scindée

Catherine Blondeau, directrice du Grand T de Nantes (maison de la culture de la Loire-Atlantique), a publié au début de cette année son deuxième livre, après un premier roman paru en 2019, Débutants. Le texte, intitulé Blanche, est cette fois inclassable. Il relève plus de l’autobiographie que de la fiction, mais une autobiographie séquencée en courts chapitres, si courts qu’ils ressemblent à des fragments, des éclats, grâce auxquels l'autrice s'efforce de retracer le parcours biographique et intellectuel qui l'a amenée à prendre conscience du fait qu’elle était blanche.
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« Danses pour une actrice (Valérie Dréville) » de Jérôme Bel à la MC93 – mémoires du corps

Il y a un an, Jérôme Bel annonçait qu’il ne prendrait plus l’avion, et ne ferait plus tourner ses spectacles à l’étranger (alors qu’il y a quelques années à peine, il venait jusqu’à Cuba avec Shirtologie). Ce qu’il consent à faire en revanche, c’est recréer ses spectacles avec des artistes étrangers, grâce à des répétitions via Skype. Pour que le spectacle vivant ne se résume pas à des captations (menace qui pèse en temps de covid), pour continuer à faire l’expérience de la présence, la nécessité s’impose plus que jamais d’aller voir ses œuvres, d’aller jusqu’à la MC93 pour découvrir sa dernière création, Danses pour une actrice (Valérie Dréville), présentée dans le cadre du Festival d’Automne. Pour la version française de ce spectacle, il fait appel à une actrice-monument, qui a marqué les œuvres de Vitez, Régy, Vassiliev, et plus récemment d’Ostermeier, Lupa ou Creuzevault. Une actrice qui porte en sa chair tout un pan de la mémoire théâtrale depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, que Jérôme Bel confronte à une autre mémoire, celle de la danse. Ensemble, ils créent un objet hybride, qui s’offre exceptionnellement le luxe d’une double réception.
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« Familie » de Milo Rau à Nanterre-Amandiers – théâtre pornographique : la reconstitution du réel à tout prix, au prix du jeu et de l’intimité des acteurs

Depuis plusieurs années, l’artiste suisse Milo Rau est accueilli en France avec ses spectacles, qui toujours explorent les relations entre le réel et le théâtre à partir de la question de la représentation de la violence sur scène. Après Five Easy Pieces, sur les crimes de Marc Dutroux, La Reprise, sur le meurtre d’un homosexuel à Liège en 2012, Rau s’empare d’un nouveau fait divers dans Familie : le suicide des quatre membres d’une famille en 2007, près de Calais. Les deux précédentes œuvres de ce triptyque démontraient comment le théâtre pouvait permettre d’apprivoiser l’horreur, par le jeu. Dans celle-ci, la démarche est inverse. Le fait d’amener une vraie famille sur scène évacue presque totalement le jeu, au point de faire naître un malaise extrême.
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« Une lumière au cœur de la nuit : le lustre, de l’intime à la scène » de Georges Banu – Réverbérations d’une lecture

En 2009, Georges Banu faisait paraître Des murs… au Mur aux Editions Gründ. En 2015, La Porte, au cœur de l’intime, aux Editions Arléa. Cette dernière maison a offert à l’auteur une nouvelle opportunité d’écrire un de ces textes situés un peu à la marge de ses publications habituelles, généralement consacrées au théâtre.
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« Le Bain » de Gaëlle Bourges au T2G – ecphrasis théâtrale

Après la figure de Vénus, après la tapisserie de La Dame à la licorne, après les grottes de Lascaux, Gaëlle Bourges explore avec les moyens de la scène de nouvelles œuvres appartenant à l’Histoire de l’art : Diane au bain de l’Ecole de Fontainebleau, et Suzanne au bain, du Tintoret. Pour ce diptyque qu’elle nomme Le Bain, l’artiste change d’échelle et passe de celle humaine des corps à celles de poupées. Alors que sa pratique, qui mêle théâtre, peinture, danse et musique, est déjà caractérisée par la transdisciplinarité, son spectacle se nourrit cette fois en plus de l’art des marionnettes. Elle crée ainsi un objet hybride, qui conjugue les corps dans l’espace et les actions dans le temps, ou la poésie et l’image, que Lessing avait soin de distinguer dans son essai d’esthétique Le Laocoon (1766).
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« Le roman théâtral » de Mikhaïl Boulgakov – quand la littérature rencontre le théâtre

Le Roman théâtral est une œuvre inachevée de Boulgakov, non parce qu’il a brûlé la fin du manuscrit – comme Gogol qui a jeté au feu le second volume des Âmes mortes –, non parce qu’il a délaissé le projet à la faveur d’un autre, mais parce que la mort le surprend. Son décès condamne son œuvre à demeurer en chantier, pour toujours, délaissée au milieu d’un chapitre, et presque, d’une phrase. Cet inachèvement désole d’autant plus que ce qui nous reste laisse mal entrevoir ce qui manque. L’œuvre est fuyante, qui parle d’une autre œuvre. Ou plutôt de deux : ce qu’on lit est un cahier de notes, pas vraiment destiné à la publication, écrit par un narrateur qui se découvre un jour auteur, qui publie un texte qu’on lui demande bientôt d’adapter pour le théâtre. Boulgakov écrit donc un roman sur une pièce de théâtre adaptée d’un roman, dont on ne sait rien, ou peu de choses. La substance du récit réside dans cette rencontre de la littérature et du théâtre, dans les étincelles que produit le choc de la découverte de ces deux mondes, confrontation sur laquelle plane la menace d’un échec – dont on ne connaîtra jamais les circonstances.
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« Fanny et Alexandre » de Julie Deliquet à la Comédie-Française – autoportrait de la troupe

Après Vaniaen 2016, Julie Deliquet est à nouveau invitée par Eric Ruf à diriger la troupe de la Comédie-Française. Pour ce deuxième spectacle, la jeune metteure en scène fait un choix original et judicieux, par lequel elle fait entrer au répertoire de l’institution un texte inqualifiable d’Ingmar Bergman, situé entre le cinéma, le théâtre et le roman. Fanny et Alexandreétait en effet au départ un scénario de film, adapté au format de la série télévisé, et repris sous forme de roman. Deliquet exploite encore un potentiel latent mais non réalisé de ce texte en le transformant en pièce de théâtre – ce que Bergman, cinéaste, directeur de théâtre et metteur en scène, qui nourrit ses œuvres de cette porosité entre les arts, n’aurait certainement pas désavoué.
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« Les Idoles » de Christophe Honoré à l’Odéon – hommage aux morts et au théâtre

Christophe Honoré suit Stéphane Braunschsweig du Théâtre de la Colline à celui de l’Odéon, pour présenter après Nouveau Roman et Fin de l’histoire sa dernière création, Les Idoles. Dans ce spectacle, le metteur en scène assume une perspective plus intime, et propose une rêverie autour de tous les morts du sida qui ont peuplé sa jeunesse. Faisant du plateau la surface de projection de sa mémoire et de ses fantasmes, il invite ses idoles – ces morts qui ont continué de vivre avec lui, qui constituent des repères en même temps que des compagnons de vie – et dresse à travers eux le portrait d’une époque. Le spectacle s’annonce grave, mélancolique et un peu narcissique, mais il est loin de n’être que cela : il est aussi plein de poésie, d’humour, de finesse et de joie.
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