Étiquette : peintre

« Les Émigrants » de W. G. Sebald [extrait] – chef d’œuvre inconnu

Entre-t-on dans l'atelier, il faut un certain temps pour s'habituer à l'étrange lumière ambiante, et une fois que l'on commence à voir, il vous semble, dans cet espace de peut-être douze mètres sur douze que le regard ne saurait saisir en entier, que tout converge lentement et inexorablement vers le centre. L’obscurité accumulée dans les angles, le crépi à la chaux boursouflé, salpêtré, et la peinture qui s’écaille sur les murs, les étagères croulant sous le poids des livres et des piles de journaux, les caisses, établis et dessertes, les fauteuils à oreilles, le réchaud à gaz, les matelas à terre, les monceaux de papier, de vaisselle et de matériaux entassés pêle-mêle, les pots de peinture rouge carmin, vert vif et blanc de zinc luisant dans la pénombre, les flammes bleues des deux poêles à paraffine : le mobilier tout entier avance millimètre par millimètre vers le point central où Ferber, dans la lumière grise tombant de la haute fenêtre nord recouverte de la poussière de plusieurs décennies, a installé son chevalet.
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« Le Christ s’est arrêté à Éboli » de Carlo Levi [extrait] – la tragédie replacée dans son élément naturel

À la ville une nouvelle extraordinaire nous attendait : sur un char tiré par un cheval efflanqué venait d’arriver une compagnie d’acteurs. Ils devaient rester quelques jours, ils joueraient, on aurait du théâtre. Le char recouvert par une grande bâche en toile cirée était là sur la place avec les décors et le rideau enroulés.
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« Le Christ s’est arrêté à Éboli » de Carlo Levi – la désolation exhaussée au rang de mythe

En 1935, le peintre italien Carlo Levi est « confiné » pendant un an, c’est-à-dire envoyé en résidence surveillée dans un petit village du sud de l’Italie à cause de ses activités politiques antifascistes. Son expérience est comparable à celle de Dostoïevski au bagne : le peintre qui a une formation de médecin est marqué à vie par son séjour dans la région la plus pauvre de son pays, la Lucanie (qui correspond à l’actuel Basilicate), et le récit qu’il en tire à la fin de la Seconde Guerre mondiale fait de lui un écrivain. Son témoignage, d’apparence essentiellement descriptif, est pénétré par le syncrétisme des paysans, ce qui lui donne l’allure d’un conte ou d’un récit évangélique – ou plus précisément d’un chapitre du Livre de Job.
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