Étiquette : écriture

« Orphelins » de Dennis Kelly, mis en scène par Sophie Lebrun et Martin Legros au Théâtre de Belleville – jouer avec le texte, tout le texte, pour mieux le jouer

Au Théâtre de Belleville est repris un spectacle créé en 2018 par la compagnie normande La Cohue, et programmé au 11, à Avignon en 2019 : Orphelins de Dennis Kelly, mis en scène par Sophie Lebrun et Martin Legros. Il s’agit du texte le plus monté en France de l’auteur britannique, qui a également inspiré des mises en scène de Love and Money, Girls and Boys, ADN ou Débris. Son écriture ciselée, qui décortique des faits divers et joue sur des effets de révélation, met le jeu d’acteur au défi. Le parti des pris des artistes est d’intégrer une strate de plus de ce texte, afin d’introduire encore plus de jeu et de nuance.
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« Les Armoires vides » d’Annie Ernaux – dernier jour d’une condamnée

Le premier roman d’Annie Ernaux, Les Armoires vides, contient en puissance plusieurs de ses œuvres à venir. Dans ce texte d’inspiration autobiographique, l’autrice relate son enfance et son parcours de transfuge, du café-épicerie de ses parents à l’université, au travers du personnage de Denise Lesur. Quoiqu’elle révèle en creux la genèse d’une autrice, l’œuvre ne livre pas le récit victorieux d’une ascension sociale permise par l’école. La trajectoire de la jeune femme est retracée dans un moment de crise, qui la condamne selon elle à la fatalité de son milieu d’origine.
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« Mausolée » de Louise Chennevière [extrait] – tombeau de mots pour l’amour

Mausolée. Tu as ramassé sur le sol les feuilles par nos corps éparpillées. Je t'ai regardé faire en tirant lentement sur cette cigarette que tu venais de rouler, tes cigarettes épaisses, sans filtre, qui m'avaient toujours un peu brûlé, la gorge, les yeux, mais que j'aimais tant fumer, juste après. Je t'ai regardé les reposer soigneusement sur le bureau, une à une, dans l'ordre, hypnotisée par cette vision. Fascinée et inquiète, d'être soudain, démasquée.
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« Des femmes qui nagent » de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez au TGP – traces de films déposées sur la scène

Le TGP accueille pour une dizaine de dates la nouvelle création d’un texte de Pauline Peyrade, résultat d’une commande d’Émilie Capliez qui le met en scène. Des femmes qui nagent manifeste un déplacement profond dans l’écriture de l’autrice. Jusqu’ici, ses textes pour le théâtre prenaient la forme de fictions soigneusement mises en page, pour rendre compte de notre perception éclatée du réel. Des textes qui mettent la scène au défi de restituer les multiples plans et strates de l’écriture. Avec cette œuvre, pour la première fois, Pauline Peyrade écrit explicitement à partir de. En l’occurrence, à partir d’une vaste culture cinématographique, conjuguée au féminin. Son écriture incisive, rythmée, se trouve ainsi arrimée à un vaste matériau qui laboure notre mémoire et fait surgir de multiples images – images sublimées et décuplées par la mise en scène très esthétique d’Émilie Capliez.
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« Quand tu écouteras cette chanson » de Lola Lafon – lecture happée par le récit d’une nuit

La dernière œuvre de Lola Lafon, Quand tu écouteras cette chanson, parue en septembre 2022, a été écrite à l’invitation d’Alina Gurdiel, qui a créé chez Stock une collection intitulée « Ma nuit au musée ». Une collection qui encourage les croisements entre les arts, entre la littérature et la peinture, ou la sculpture. Sauf quand, comme Lola Lafon, c’est d’un musée d’histoire dont il est question. En l’occurrence, l’autrice a demandé à passer la nuit dans la Maison Anne Frank à Amsterdam, choix qui leste aussitôt le projet d’écriture d’un poids singulier, d’une gravité certaine. Pour Lola Lafon, l’expérience se révèle l’occasion de s’interroger sur son geste d’écriture tout en interrogeant fantômes du passé et de son passé.
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« Qui sait » de Pauline Delabroy-Allard – écrire pour nommer

Qui sait était un roman attendu de la rentrée littéraire 2022. Il est le deuxième de Pauline Delabroy-Allard, qui a fait irruption dans le paysage il y a quatre ans avec un premier livre publié aux Éditions de Minuit, Ça raconte Sarah, plusieurs fois récompensé. Entre temps, elle a fait paraître des livres pour enfants et un objet hybride, mêlant textes poétiques et photographies, publié par l’Iconopop, Maison tanière. Qui sait est cette fois publié chez Gallimard, et sous-titré « roman », comme Ça raconte Sarah. Pourtant, comme Ça raconte Sarah, les inspirations de ce texte sont autobiographiques, et elles produisent un effet de frottement entre fiction et réalité, que la mise en garde ne parvient pas tout à fait à faire oublier. Ce frottement rend attentif au travail de l’écriture plus encore qu’à l’histoire racontée, une écriture qui saisit le monde à bras le corps.
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« Jours de joie » d’Arne Lygre, mis en scène par Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odéon – que la joie demeure

Le premier spectacle de la saison au Théâtre de l’Odéon s’annonce comme un programme, voire un viatique pour l’année à venir : « Jours de joie ». C’est une nouvelle pièce de l’auteur norvégien Arn Lygre que Stéphane Braunschweig traduit par ce titre en collaboration avec Astrid Schenka, et qu'il crée en France après Homme sans but, Je disparais, Rien de moi et Nous pour un moment. Avec ce spectacle, on retrouve la singularité de l’écriture de Lygre et l’exploration très fine qu’elle permet des relations humaines, exploration qui invite à méditer sur les nôtres.
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« Ils nous ont oubliés » de Séverine Chavrier aux Ateliers Berthier – hyperacousie assassine

Séverine Chavrier s’aventure sur un terrain déjà balisé par le Polonais Krystian Lupa. Après lui qui s’est constitué en spécialiste de Thomas Bernhard avec cinq spectacles créés ces vingt-cinq dernières années, elle entreprend la deuxième adaptation de l’une de ses œuvres, La Plâtrière, sous le titre Ils nous ont oubliés, après Nous sommes repus mais pas repentis d’après Déjeuner chez Wittgenstein en 2016. Les démarches de ces deux artistes sont profondément différentes comme le signale d’emblée les titres de leurs spectacles. Alors que Lupa, dans son adaptation de La Plâtrière comme dans ses autres adaptations, cherche à prolonger l’œuvre par la scène, à en suivre les ramifications souterraines pour « atteindre, par le langage théâtral, des zones où la narration littéraire n’est pas parvenue », Séverine Chavrier annonce un spectacle « basé sur le roman La Plâtrière ». L’adaptation est conçue comme une variation à partir de l’œuvre première, une impulsion pour la création d’une œuvre nouvelle, une œuvre avant tout scénique, qui multiplie les moyens de manière ambitieuse.
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« La Tendresse » de Julie Bérès au TGP – bande de gars en cours de déconstruction

Après Désobéir, « Pièce d’actualité » née en novembre 2017 à Aubervilliers et depuis en tournée, Julie Bérès a souhaité offrir le pendant masculin de ce spectacle et constituer ainsi un diptyque sur le genre et ses injonctions. Le souvenir très fort laissé par Désobéir, coup de cœur d’Avignon 2019, spectacle depuis resté en tête et souvent évoqué comme référence à une forme de théâtre immédiat, très juste à l’endroit qu’elle occupe, rendait inévitable la découverte de La Tendresse. Le risque de la déception était pourtant à la hauteur de l’attente, d’autant que la déclinaison d’une formule qui a fait ses preuves ne constitue jamais une garantie, que ce soit au théâtre, en littérature, au cinéma ou dans l'industrie des séries. En outre, il ne semble pas aussi nécessaire de laisser place au masculin sur scène comme au féminin. Très rapidement, ces craintes ont cependant été balayées par une authentique joie, nourrie tout au long du spectacle, qui amène à conclure que c’est précisément de ce théâtre-là dont nous avons besoin par les temps qui courent.
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« Beauté fatale » et « Ceci est mon corps » au Lavoir Moderne Parisien – autobiographies scéniques de corps féminins

Pendant quelques jours, deux spectacles peuvent être vus en une seule soirée au Lavoir Moderne Parisien : Beauté fatale d’Ana Maria Haddad Zavadinack et Ceci est mon corps d’Agathe Charnet. Deux spectacles de jeunes metteuses en scène qui se font multiplement écho et qui offrent l’un et l’autre des autobiographies de corps féminins - des autobiographies scéniques.
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